USA/Diplomatie: Anthony Blinken déjà en Afrique ( Lisez l’analyse de expert Marc Lavergne)

« La tournée d’Antony Blinken en Afrique ne se résume pas à un match entre les États-Unis et la Russie».
Le chef de la diplomatie américaine est depuis hier en Afrique du Sud. Il se rendra ensuite en République démocratique du Congo et au Rwanda entre le 7 et le 12 août, réalisant sa deuxième tournée en Afrique en moins d’un an. Selon Marc Lavergne, directeur émérite de recherches au CNRS, cette visite est bien plus qu’une simple réaction celle de Sergei Lavrov la semaine dernière. Entretien.
Marc Lavergne directeur émérite de recherches au CNRS : Je ne suis pas tout à fait convaincu que ça soit seulement ça. Il y a peut-être un effet de précipitation, mais les pays choisis ne sont pas des pays qui font sens par rapport à l’urgence ukrainienne. Il y a des problèmes propres à l’Afrique et c’est vrai que la Russie en profite. Elle va défendre ses intérêts vis-à-vis de l’Ukraine en proposant par exemple de livrer des céréales aux pays qui en ont besoin. Mais la visite d’Antony Blinken ne se résume pas à un match entre les États-Unis et la Russie, puisqu’il se rend globalement dans des pays alliés, qui ont des préoccupations indépendantes de la Russie.
Je crois que quelque chose se passe en Amérique. L’Afrique a toujours été un continent lointain et délicat, du fait du poids de l’esclavage aux États-Unis. Seul le Black Caucus, ( groupe qui rassemble les élus noirs au Congrès ndlr), s’intéressait vraiment à l’Afrique. Donc deux visites de Blinken en moins d’un an, c’est une façon de montrer aux Africains, “nous sommes-là, et pour y rester”. Notamment pour étoffer le rôle ambassades, et développer de nouvelles approches. Ce qui est crucial pour les États-Unis, c’est de contrôler les matières premières en Afrique. En cela, il y a une guerre avec la Russie et la Chine, car le Royaume-Uni n’est plus là, et les États-Unis préféreraient que la position de la France sur le continent soit plus solide. Mais il s’agit avant tout de dire que l’Afrique compte.
<<Antony Blinken fait le choix d’aller dans ce pays, le plus puissant du continent, un pays qui a besoin d’être stabilisé, certes, mais sur lequel on peut compter pour peser dans l’Union africaine.>> : Marc Lavergne directeur émérite de recherches au CNRS.
Lavrov a soigneusement choisi les pays dans lesquels il est allé, et les choix de Blinken doivent aussi montrer que l’Amérique n’est pas suiviste. Il va notamment se rendre en Afrique du Sud, qui n’est pas près de tomber dans l’orbite russe ! C’est un pays proche par la langue, mais aussi par la lutte contre la ségrégation, cela résonne avec l’histoire des États-Unis. Antony Blinken fait le choix d’aller dans le pays le plus puissant du continent, un pays qui a besoin d’être stabilisé, certes, mais sur lequel on peut compter pour peser dans l’Union africaine.
Les Américains sont déjà présents au Niger avec entre autres une base militaire importante à Niamey et une à Djibouti avec l’Africom, (le commandement central des forces américaines sur le continent africain ndlr). Mais les États-Unis doivent montrer qu’ils s’engagent vraiment s’ils veulent prouver qu’ils sont différents des Russes. Ils soutiennent par exemple Paul Kagame, notamment parce qu’il parle anglais et parce qu’il s’intéresse aux nouvelles technologies. C’est intéressant pour de futurs investissements américains.
Il faut une bonne gouvernance pour remettre les pays africains dans une image « business oriented » (favorables aux affaires et au commerce). L’Afrique doit être ouverte aux investissements américains et il faut dire aux Américains : “il faut y aller !”. La France est déjà là, on le voit avec Bolloré, de l »huile de palme aux de chemins de fer, ou EDF et ses projets de barrages. Les Chinois sont là aussi, il y a un vrai danger de compétition économique et donc un besoin d’engagement profond. C’est cela qui pousse les Américains à se dire “il faut qu’on revienne”.
Dans la crise avec la RDC, Blinken peut appeler à la raison, notamment en faisant peser son poids sur Kagame, et essayer de construire ou reconstruire une Union africaine fonctionnelle. La RDC a rejoint la communauté d’Afrique de l’est africaine récemment, or l’Amérique a aussi des intérêts là-bas, comme au Kenya, où Blinken est allé l’année dernière.
<<Il s’agit de tirer un trait sur les années Trump. Donald Trump méprisait les Africains.>> : Marc Lavergne directeur émérite de recherches au CNRS.
Oui, il s’agit de tirer un trait sur les années Trump. Donald Trump méprisait les Africains, ce qui a pu laisser des traces auprès des dirigeants africains. L’ère Trump était aussi celle des Républicains, qui s’intéressent plus au Moyen-Orient. Il y a donc eu une vraie lacune du côté de l’Afrique. On pense aussi que l’intérêt pour l’Afrique peut résonner auprès de la communauté afro-américaine, qui vote plutôt pour les Démocrates. Or il ne faut pas oublier que les démocrates sont sur un siège éjectable et qu’ils doivent prendre en considération les élections de mi-mandat…
Oui, il s’agit de tirer un trait sur les années Trump. Donald Trump méprisait les Africains, ce qui a pu laisser des traces auprès des dirigeants africains. L’ère Trump était aussi celle des Républicains, qui s’intéressent plus au Moyen-Orient. Il y a donc eu une vraie lacune du côté de l’Afrique. On pense aussi que l’intérêt pour l’Afrique peut résonner auprès de la communauté afro-américaine, qui vote plutôt pour les Démocrates. Or il ne faut pas oublier que les démocrates sont sur un siège éjectable et qu’ils doivent prendre en considération les élections de mi-mandat…
Source TV5 Monde
Site www.lafriqueenmarche.info du 9 août 2022 No 261