Tourisme/Entretien : « Les atouts du Bénin sont nombreux », dixit Guy Johnson

(Sans oublier 32 autres projets pour changer la donne touristique du continent)
Le secteur du tourisme constitue une manne capable d’entrevoir d’horizons économiques importants aussi bien pour l’Afrique que pour le Bénin. Pour ce sujet spécifique, une expertise pointue, celle d’un homme qui a fait toute sa carrière dans le secteur. Il s’agit de Guy Johnson, expert international en tourisme durable et digital, ancien directeur de cabinet, ancien secrétaire général du ministère, ancien conseiller technique de plusieurs ministres du Tourisme du Bénin et représentant de l’Afrique au comité de programme de l’Organisation mondiale du tourisme de 2007 à 2015. Guy Johnson est également expert de la conférence des Nations-unies pour le commerce et le développement. Il y pilote un programme de tourisme électronique qu’il a conçu. Dans cet entretien, il explore les nombreux atouts du tourisme du Bénin. Lisez ses explications.
Les décideurs : Le Bénin est-il attractif pour les touristes ? Peut-on connaitre l’effectif des touristes qui foulent le sol béninois chaque année ?
Guy Johnson : Dans notre pays, chaque année, on va et on vient puis on tourne autour des statistiques qui soutiennent à peu près 200.000 touristes. Avouons qu’on n’a pas toujours très bien collecté et traité les données. Mais quand on n’a pas de statistiques sérieuses, on ne peut planifier quelque chose de manière sérieuse?
Quelles sont les provenances des touristes qui viennent au Bénin ?
Les touristes qui viennent au Bénin sont en majorité des touristes d’affaires. Le volume est entre 60 et 70 %. Certaines statistiques vont même jusqu’à 80 %. C’est ceux qui viennent chercher des opportunités d’affaires simplement. Mais voilà que notre économie n’est pas très performante. C’est donc pour cela que le volume n’est pas très important. En général, les touristes sont des voisins qui viennent du Nigéria, de la Côte d’Ivoire et du Cameroun etc.
Maintenant, il y a aussi le tourisme d’agrément. Ce dernier concerne la France. Ce pays vient en tête du fait de nos relations historiques et du fait que nos compatriotes sont nombreux-la-bas, eux qui reviennent au pays pour des raisons familiales, etc.
Au Bénin, quelles sont les destinations les plus visitées par les touristes ?
On peut dire que c’est celles que le gouvernement est en train d’essayer de réhabiliter. Donc Ouidah déjà. Mais ce n’est pas tellement important. Vous avez à peu près entre 25.000 et 30.000 personnes qui vont à Ouidah par an, selon les statistiques. L’île de Gorée au Sénégal qui est moins pourvue que Ouidah est plus visitée. Il y a sept bateaux de 350 personnes qui y vont par jour dans la bonne saison. Donc en deux semaines, l’île de Gorée peut enregistrer des statistiques autour du millier dans la bonne saison. Parce que les Sénégalais travaillent sérieusement pour faire le marketing de leur destination. Mais au-delà, les atouts du tourisme au Bénin sont nombreux.
Les spécialistes du tourisme n’arrivent pas à s’accorder sur l’impact économique du tourisme intérieur souvent sous-évalué.
Quand nous considérons dans la définition classique et mondiale du tourisme, celui dit intérieur est limité. Parce que très souvent, même au niveau de l’Organisation mondiale du tourisme, on n’a pas les statistiques sur le tourisme intérieur, c’est-à-dire le tourisme national, celui que l’on fait à l’intérieur des pays. On ne mesure que le tourisme international, c’est-à-dire les gens qui bougent d’un pays à l’autre. Et les statistiques de l’Organisation mondiale du tourisme vous disent que les flux touristiques nationaux sont dix fois plus importants. Cela veut dire que l’impact économique du tourisme est sous-évalué faute d’outils statistiques de mesure. Dès lors, faute d’une évolution approfondie dans la recherche, on ne peut donc cerner tous ses contours et ses effets socioéconomiques.
Quelles solutions proposez-vous pour développer le tourisme ?
Nous avons deux solutions. Il y a une que j’ai appelée ‘’Initiative de partenariat public-privé’’. Ceci pour atteindre les Objectifs du millénaire pour le développement. C’était en 2008 que nous avons sorti cette proposition. Nous étions dans le cycle des OMD puisque l’échéance était 2015. Donc sept ans d’anticipation pour que par le tourisme, on atteigne les OMD. Depuis que les OMD sont devenus une réalité en 2000, pourquoi pendant 15 ans on n’a pas eu des stratégies de l’environnement, de l’agriculture, de l’industrie, du tourisme, etc, pour atteindre les OMD. Si on veut être systématique et faire du travail approfondi, c’est des choses comme ça qu’on doit faire.
Nous avons sorti ce programme en 2008, validé par les ministres africains du Tourisme la même année ; par les ministres du Tourisme du monde en 2009 ; signé par le Pnud en 2010 ; adopté par le conseil des ministres du Bénin en 2009. Mais on est allé jusqu’à l’échéance de 2015 sans rien faire de ce projet. Quatre agences des Nations-unies étaient d’accord. Les Japonais sont dans un mécanisme financier qu’on appelle le ‘’Ticad’’ (Tokyo international conference for Africa developpement). Ils avaient 15.000 milliards FCFA pour financer ce programme. Ils ont dit qu’ils sont intéressés par notre solution que j’ai chiffrée à 10.000 milliards FCFA. A raison de 500 milliards par pays pour 20 pays. J’ai eu l’occasion de présenter ce programme aux Japonais lors d’une réunion organisée par la Banque mondiale, le Pnud et l’Organisation mondiale du tourisme. C’était en Ouganda. Les Japonais étaient tout de suite intéressés et ils ont saisi l’Organisation mondiale du tourisme qui m’a saisi. Deux, trois mois après, les Japonais nous ont invités pour venir consolider le dossier. C’était à Arusha en Tanzanie. Mais pour voyager, le Bénin était incapable de nous décaisser deux millions FCFA pour aller défendre les 10.000 milliards FCFA.
En substance, ce projet était basé sur le tourisme et le numérique. Il suffit de mettre 20 ordinateurs par arrondissement puis tout est joué. Nous, nous avons la solution technologique pour connecter 10.000 autres ordinateurs à ces 20. Maintenant dans cette salle où on met 20 ordinateurs, j’ai le programme à faire appliquer aux jeunes. Quand nous avons dit la solution sur les plateaux et dans certains milieux, tout de suite un ministre a dit à MTN de venir m’écouter. Quand MTN est venu, il a dit je donne 15 ordinateurs pour cela. Maintenant ils sont allés prendre les ordinateurs mais ils n’ont pas le programme. J’ai 32 projets pour changer la donne touristique du continent. Et ces projets peuvent devenir mile, un million, un milliard de projets instantanément, en fonction de la volonté et de l’engagement dans mon projet.
De quoi avez-vous besoin pour mettre en œuvre ce programme ?
Nous avons besoin de trois choses. D’abord, on a besoin de la volonté des acteurs, parce que, cela fait 12 ans que ce programme existe et partout dans le monde entier, le programme passe. C’est plutôt ici qu’on se pose encore des questions là-dessus. Pour cela, nous avons besoin de la volonté des gens. Nous avons également besoin de la mentalité des gens pour qu’ils aient la mentalité de la gouvernance, parce qu’on ne peut rien faire dans le désordre caractérisé. Mais la mentalité doit être en faveur du développement, c’est-à-dire la mentalité qui facilite les choses, qui accompagne et qui assiste les choses, qui fait la sécurité technique des choses, c’est-à-dire les critères de doing business favorables à l’initiative et aux opportunités. On perd trop d’opportunités, on ne fait que cela d’ailleurs.
Quel est votre budget et comment pensez-vous mobiliser les fonds ?
Ce programme a un volet public et un volet privé. Sur le volet public, j’avais travaillé depuis 12 ans et j’ai eu tout le succès en moins de deux ans. Pour apporter deux choses à l’Afrique. La première chose est l’expertise. Les africains vont mettre l’argent, sinon c’est l’unique chose qu’il faut. Quand nous avons initié ce programme en 2008, en 2009 déjà, il est validé par tous les ministres du monde. En 2009, les Japonais cherchaient le programme qu’on chiffrait pour 20 pays à 10 000 milliards FCFA. Donc en fait, c’est la chose principale, mais si ceux qui doivent porter le projet ne le comprennent pas ou bien ne veulent pas l’accompagner, le résultat est là. On est resté là à tourner en rond pendant 10, 12 ans.
Donc les fonds, ce n’est pas ce qui manque pour un bon projet. Tant que le projet est bon, vous trouverez toujours l’argent. C’est pour cela que le Pnud a signé pour le porter sans oublier Maurice qui a dit disposer d’un milliard de dollar que l’Union européenne avait rendu disponible pour financer de tels projets. Il était prêt à m’accompagner.
La volonté politique constitue-t-elle le seul blocage à vos solutions ?
Je ne parle même plus de la volonté politique, parce qu’on en a trop parlé. On parle de la volonté de tous les acteurs. Parce qu’au niveau de mon projet, si vous parlez du côté public, c’est la volonté politique, mais j’ai déjà quitté ce niveau, puisqu’on ne peut pas parler de la même chose durant 10, 20 ans. Donc j’en suis maintenant au volet privé.
Ce volet implique la volonté des acteurs, puisque pour réussir aujourd’hui les acteurs ont besoin d’une seule chose qui est d’être professionnel. Donc revenir à l’expertise. Alors, pour être professionnel, il faut payer le prix de la professionnalisation. Pour les financements, c’est le financement de chacun. Si, par exemple une université qui n’est pas au digital m’invite, je vais l’aider. Les entreprises qui n’arrivent pas à y voir clair, si elles m’invitent, je vais les aider. Je prends les universités, les entreprises, chaque individu, les chômeurs. Comment est-ce que les étudiants, aujourd’hui, sortent de l’école ? Ils sont la génération future de dirigeants et ils sont des analphabètes numériques. Comment peut-on expliquer cela ?
Magazine ‘’Les Décideurs’’ Entretien réalisé par Nafiou OGOUCHOLA