Gouvernance locale/ Interview : «Décentralisation, pour des femmes et hommes de grandes ambitions», dixit l’expert Houndolo.

Le Bénin a opté pour la décentralisation de son administration pour mieux rapprocher les citoyens des autorités locales. Un processus qui fera bientôt 20 ans. Après quatre différentes élections municipales et communales, quelle lecture peut-on faire de ce processus ? Quel regard porté sur la gouvernance locale sous la ‘’Rupture’’ entre deux mandat ? Todjo Julien Houndolo, expert en développement local et décentration, expert en suivi et évaluation de projets et programmes de développement, Risk-Manager et écrivain nous donne dans cet entretien son analyse. Tout en louant ce qui est déjà fait, il pense que le chemin reste encore à parcourir.
L’Afrique en marche : Le Bénin vient de vivre la troisième élection sous la ‘’Rupture’’. Quelle appréciation faites-vous de la présidentielle ?
Todjo Julien Houndolo : C’est une très bonne chose d’avoir trois élections différentes en trois ans, en partant des élections législatives à la présidentielle, en passant par les élections communales et municipales.
S’agissant de la présidentielle d’avril 2021, il faut noter qu’il y a de l’innovation avec des duos candidats. Les populations ont porté leur choix sur le duo Talon/Talata. Et le président Patrice Talon est réélu à la tête de notre pays. C’est important de le souligner. Car, c’est du jamais vu dans un pays francophone de par le monde d’avoir des duos candidats à une élection présidentielle. C’est aussi un progrès de notre démocratie sous la ‘’Rupture’’ et le ‘’Nouveau départ’’.
Comment trouvez-vous l’apport de la société civile notamment la Plateforme électorale ?
La plateforme a depuis des années joué un rôle important. L’apport de la société civile, à travers la plateforme électorale est une dynamique du peuple béninois et des partenaires techniques et financiers qui accompagnent le processus démocratique au Bénin. La plateforme contribue à la paix et à la consolidation de la démocratie en période électorale et post-électorale.
Quel point peut-on faire aujourd’hui de notre décentralisation en termes d’avancées ou de reculs ?
Nous devrons soutenir le processus de la décentralisation en cours au Bénin depuis janvier 2003. La décentralisation est un tremplin pour le développement local. Elle est déterminante pour sortir les populations des collectivités territoriales décentralisées de la pauvreté. Nous venons de connaître quatre élections communales et municipales. Chacune des 77 communes du pays a connu des progrès. Les populations de chaque commune se voient autonomes vis-à-vis des autres.
En clair, il y a eu des avancées certaines. D’abord, le gouvernement a créé un ministère qui se charge de la Décentralisation et de la gouvernance locale. On sent une dynamique au niveau des équipes dirigeantes de chaque commune pour booster le développement de leur localité, malgré l’insuffisance de moyens. Ensuite, c’est vrai qu’à ce niveau, les résultats escomptés ne sont pas entièrement atteints, certes, mais il faut comprendre que la décentralisation est un processus. Il faut des femmes et des hommes de grandes ambitions pour le développement local. En conséquence, il faut des approches territorialement intégrées et participatives pour tendre pleinement vers un développement local durable.
Où en sont les transferts de compétences ?
Il faut comprendre que l’Etat central a transféré certaines de ses prérogatives aux communes, depuis 2003. Les marchés, les gares routières, actes de mariage, d’extraits d’actes de naissance, les opérations de lotissement, les coopérations, pour ne citer que ceux-là, font partie des compétences transférées par l’Etat central. Près de deux décennies après, il faut faire une évaluation pour apprécier les acquis, et tirer des leçons.
J’entends parler de compétences non transférées par l’Etat central. Les gens ont tendance à parler des ressources financières et des équipements marchands comme le marché Dantokpa, à Cotonou qui ne sont pas transférés. A ce niveau, on voit que l’Etat central tarde à laisser la main aux communes dans la gestion entière de certaines ressources qu’il juge sensible pour l’économie et la sécurité nationale.
Je pense qu’il faut renforcer les spécialistes au niveau des communes pour efficacement gérer certains équipements et ressources locales. Dans le cas contraire, l’Etat central se doit d’appuyer la formation des cadres dans des domaines spécifiques de compétences des communes pour s’assurer de tous les transferts. Cela permettra de lever les obstacles liés aux dysfonctionnements du développement local, notamment les insuffisances au principe de transfert de compétence.
Toutefois, le retard dans le transfert de certaines compétences ne peut tout de même pas expliquer le laxisme et les mauvais choix de dépenses au niveau des administrations communales qui ne peuvent favoriser à l’évidence le développement local.
Les clivages politiques ne constituent-ils pas un frein à la décentralisation ?
Non, les clivages politiques ne constituent pas en eux-seuls un frein. Il s’agit du développement des communes. L’Etat central est garant du bien-être de tous dans le pays. Il ne saurait s’opposer à leur développement, s’il n’y a pas de risques identifiés. L’Etat est dans un rôle d’anticipation sur les risques. Pour cela, il se met parfois dans la posture d’acteur partenaire pour trouver des solutions afin de pallier leurs difficultés.
Cependant, les équipes dirigeantes des communes doivent travailler davantage de façon inclusive et participative avec les populations et au sein des conseils communaux pour une efficacité, car la politique politicienne ne peut pas contribuer au réel développement à la base.
Quelles différences notent-on entre les régimes précédents et la ‘’Rupture’’ en matière de décentralisation?
Bien qu’il y ait une continuité dans le processus de décentralisation, le président Patrice Talon a marqué assez de différences en la matière. La décentralisation et la gouvernance locale font partie de ses préoccupations. Pour preuve, il a donné la première alerte dès son accession au pouvoir en avril 2016, à travers la désignation des chefs-lieux des 12 départements. Et, les 12 nouveaux préfets ont été nommés et immédiatement installés dans leurs fonctions. Cette décision s’est révélée aux yeux des populations comme un acte de courage politique. Puisque, le peuple béninois l’attendait depuis le vote de la loi 97-028, du 15 janvier 1999 qui a consacré le découpage du pays en 12 départements, en son article 6. Malgré cela, certains chefs-lieux comme Allada et Dassa-Zoumé n’étaient pas désignés par ses prédécesseurs pour des considérations politiciennes et partisanes. Avant, les autres gouvernements qui se sont succédé n’avaient pas eu un tel courage.
On ne peut pas ignorer les investissements massifs du gouvernement de la ‘’Rupture’’, à travers le Programme d’action du gouvernement (PAG), qui ont permis de transformer simultanément le paysage et le cadre de vie de toutes les communes du Bénin, en cinq ans.
Que faire pour améliorer la gouvernance locale et booster le développement après une crise électorale au lendemain de la présidentielle ?
C’est simple, il faut tirer des leçons. Il ne faut pas abandonner le processus. Il faut le poursuivre en mettant un accent particulier sur la qualité des ressources humaines et leur formation orientée sur le développement local durable.
Il faut éviter également, la forte politisation dans l’administration des communes au point d’empêcher l’éclosion des idées innovantes pouvant conduire au développement et sortir les populations locales de la pauvreté.
Il faut imager des approches innovantes pour imposer aux partis politiques et à leurs candidats aux élections communales et municipales à venir, des projets de société décentralisés. Cela passe par des propositions objectives aux populations afin que ces dernières puissent leur accorder leurs suffrages. Cela évitera les tâtonnements de certaines équipes dirigeantes au lendemain de leur élection.
Les équipes dirigeantes des communes doivent multiplier les sources de mobilisation des ressources financières pour conduire leur politique de développement local.
A cet effet, il leur faut renforcer leurs partenariats décentralisés et avoir des intercommunalités de résultats concrets pour un véritable développement local.
En guise de perspective que dites-vous pour conclure ?
En tant qu’expert au développement local et décentralisation, je réitère mon soutien au processus de décentralisation et de la gouvernance locale. C’est un chemin indispensable pour chaque commune et ses populations pour contribuer efficacement au développement de leur milieu. Je vous remercie pour votre intérêt pour la décentralisation et à la gouvernance locale au Bénin.
Entretien réalisé par : Messan DOHOU.
Journal L’Afrique en Marche du 24 juin 2021.