Ethiopie/ Conflit au Tigré : Les dessous d’une guerre fratricide.

( Qui est loin d’être terminée)
Après le repli tactique de l’armée éthiopienne, repli ponctué par la chute de Mekele, la capitale régionale du Tigré désormais aux mains des forces rebelles, votre site, grâce à ses correspondants vous donne quelques éléments d’appréciation sur cette guerre fratricide entre Ethiopiens qui est loin d’être terminée.
Abiy Ahmed a-t-il perdu la bataille ?
Les rapports de forces ont-ils changé en défaveur du premier ministre Abiy Ahmed et des troupes fédérales éthiopiennes soutenues par les forces érythréennes ? Il n’y a plus de doutes. L’Armée nationale a perdu la bataille de : « pacification de son arrière-cour au Tigré ».
En novembre 2020, on a en mémoire, l’offensive militaire de l’armée éthiopienne en coopération avec les forces érythréennes pour contrôler cette province régionale.
Cependant, depuis quelques jours, les rebelles ont commencé une remontée spectaculaire du territoire perdu. Face à cette situation, l’armée nationale ne ripostait que par des frappes aériennes dont l’une a fait des centaines de morts sur un marché animé il y a quelques jours. D’où la montée au créneau de la communauté internationale qui a appelé les responsables éthiopiens à donner une chance à la paix. Une artienne qui n’a plus son sens pour les autorités d’Addis-Abeba.
Face au refus du gouvernement éthiopien d’arrêter la guerre, les Organisations humanitaires onusiennes n’ont cessé de dénoncer les exactions de l’armée loyaliste avec ses légions supplétives érythréennes. Les Etats unis par la voix du secrétaire d’Etat, américain, Anthony Blinken ont dû prendre des sanctions contre les autorités éthiopiennes.
Après huit mois de guerre, la suite, on la connait. L’armée nationale a dû battre en retraite à Mekele depuis 48 heures. Le premier ministre éthiopien, Ahmed Abiy face à ces contingences a dû annoncer le lundi 28 juin dernier, un cessez-le-feu, suivi par un retrait des troupes de la capitale régional.
Ce cessez-le-feu immédiat et unilatéral du gouvernement de Ahmed Abiy était intervenu le lundi dernier alors que les frappes aériennes meurtrières se poursuivaient. Ce qui n’a pas empêché les Forces rebelles de se frayer un chemin vers la capitale Mekele occupée par les forces éthiopiennes.
Le premier ministre Abiy Ahmed qui parlait de maintien de l’ordre a-t-il perdu la bataille du Tigré ? Il n’y a pas de doute. Les combattants rebelles ont brisé l’épine dorsale de l’armée éthiopienne.
Le retrait des troupes éthiopiennes et l’application du cessez-le-feu ne sont que la conséquence de la victoire des combattants rebelles.
Firmin TEKLY correspondant en France.
L’armée éthiopienne s’éclipse du Tigré.
Comment expliquer cette défaite de l’armée éthiopienne qui occupait la région du Tigré depuis novembre dernier ?
Mekele, la capitale de la province du Tigré n’est plus sous le contrôle des forces tigréennes sous l’autorité d’Addis-Abeba, connues sous le nom de ‘’Forces de défense du Tigré’’. La capitale du Tigré est désormais sous la coupole des ‘’rebelles’’.
Pour combattre et vaincre les forces loyalistes, les rebelles sous l’égide du Front de libération du Tigré (FLPT) ont passé des mois à regrouper et à recruter de nouveaux combattants. Persuadés de leur montée en puissance, ils ont lancé la semaine dernière, la contre-attaque en direction de la capitale, Mekele.
Mais avant, ces derniers jours, le pays a vu les protagonistes se livrer à de féroces combats. En prenant, la capitale du Tigré, les rebelles ont capturé plusieurs milliers de soldats éthiopiens détenus comme prisonniers de guerre. Face à l’avancée fulgurante des rebelles, les forces fédérales éthiopiennes ont dû abandonner leurs positions qu’ils occupaient depuis novembre. Malgré le nouveau quadrillage du terrain par les rebelles, les combats se poursuivent dans certaines localités comme Adigrat, d’Abiy Adiy et en plusieurs endroits du sud du Tigré.
Luc GUIDIBI, correspondant en Afrique du Sud.
Stratégie payante des rebelles.
Comment expliquer la victoire des rebelles ? Il faut mettre en exergue, les raisons naturelles, logistiques et psychologiques du côté des combattants de la guérilla.
Sur le plan psychologique, les rebelles qui ont une tradition séculaire guerrière. Mieux, ils ont su démontrer leur savoir-faire lors de la guerre qui a chassé le dictateur marxiste, Mengistu Haïlé Mariam au début des années 1990. Quand on a cette tradition de guerre, surfer sur elle pour ceux qui ont été nourris par cette saine émulation nationaliste n’est plus difficile.
Pour eux, leur région est l’objet d’une épuration ethnique. Il faut se battre pour suivre ou disparaitre. Dans cet élan nationaliste, des recrutements massifs ont été faits. Des fonctionnaires de toutes catégories socioprofessionnelles ont abandonné leur boulot pour rejoindre le maquis. Le nationalisme tigréen a cimenté les Tigréens contre le pouvoir central considéré comme l’envahisseur.
Sur le plan naturel, la région du Tigré est une région montagneuse difficile d’accès et inhospitalière pour les autres. Le Ferrah Imba culmine à 3939 mètres, avec le sommet du massif du Tsibet dans le woreda qui est le plus haut pic du Tigré. On a aussi le Mugulat à 3263 mètres, dans la région de Ganta qui est traversée par l’un des éperons avec comme attrait, le tunnel pédestre de Siqurto. Tous ces massifs sont complétés par des plateaux supérieurs dont celui de Horst d’Atsbi à 3057 mètres en Atsbi.
Vivre dans ces conditions géographiques n’est possible qu’aux seuls initiés. D’où ces conditions naturelles hostiles pour les forces éthiopiennes et avantageuses pour des rebelles très aguerris et qui connaissent les lieux par cœur.
Luc GUIDIBI, correspondant en Afrique du Sud.
Pour les ‘’rebelles’’ objectif Addis-Abeba ?
Que feront les rebelles après ce début de victoire. Vont-ils se contenter de quadriller leur terre natale du Tigré revenue dans leur Surface territoriale utile ? Une maxime martiale dit souvent ; « En guerre, l’appétit vient en mangeant. ».
Si les rebelles ne veulent pas se contenter de cette première victoire, quelles seront leurs prochaines cibles ? Vont-ils prendre la région Amhara à proximité de main ? Vont-ils jeter leur dévolu sur Addis-Abeba par une marche inexorable ? Cette dernière est-elle exclue quand on sait que le Front de libération du Tigré avait déjà régné en maitre sur le gouvernement d’Addis-Abeba pendant 25 ans après la chute de Mengistu Haïlé Mariam dit le ‘’Négus rouge’’ ?
Des observateurs avertis de ce damier éthiopien, quant à eux misent sur une volonté inébranlable des nouveaux responsables de Mekele d’obtenir leur indépendance comme ce fut le cas de l’Erythrée.
L’Ethiopie, la deuxième puissance démographique en Afrique après le Nigeria et la 3ème puissance économique d’Afrique a-t-elle commencé par écrire de nouvelles pages de son histoire ? Après la défaite du 28 juin 2021 de l’armée éthiopienne au Tigré, plus rien ne sera comme avant. Le risque de la balkanisation et de la déflagration de l’Ethiopie est-il activé ?
Blanchard LAWSON, correspondant au Sénégal.
L’Erythrée alliée, l’Egypte et le Soudan en sous-mains ?
On ne gagne pas guerre si on n’a pas du matériel du bon matériel. Comment le Front de libération du Tigré a-t-il pu avoir du matériel de guerre en conséquence pour inverser la tendance, lui qui a détalé dès l’arrivée des forces loyalistes?
Le plan logistique, les rebelles avant de fuir dès le déclenchement de la guerre le 4 novembre 2020, ont réussi à fuir avec de puissants matériels de guerre. D’après des câbles diplomatiques, cette armée disposerait des chars de fabrication russe comme des T 55, 59 et 62 ; des artilleries autotractées ; des véhicules blindés. Elle possèderait également des avions et des hélicoptères de combats. Certaines sources crédibles laisseraient entendre que les rebelles ces derniers jours dans leur contre-offensive auraient eu recours à des drones.
Le matériel requis et de pointe des rebelles a-t-il bénéficié de la greffe de l’appui militaire au plan géostratégique ?
Si les combattants rebelles ont gagné, les observateurs avertis pensent qu’ils ont eu des armes sophistiquées. Où les ont-ils trouvées? Et de la part de quels ‘’généreux donateurs’’ ont-ils eu ce soutien? Qui a intérêt à aider les rebelles ? Peut-on soupçonner certains pays qui au nom de la géopolitique régionale défavorable au gouvernement centrale de Abiy Ahmed ? Des pays ont-ils pu jouer un rôle non négligeable dans l’acquisition de matériels militaires contre Addis-Abeba ?
Si le premier ministre éthiopien a bénéficié du soutien de l’Erythrée comme partenaire stratégique pour tenter de domestiquer le Tigré, il faut reconnaitre que l’Ethiopie a aussi des ennemis régionaux jurés à ses portes. On peut citer l’Egypte et le Soudan.
Ces deux pays sont dans une logique de conflit déguisé au sujet du ‘’Barrage de la renaissance’’ sur le Nil. Ce projet gigantesque de développement est cependant perçu par l’Egypte et le Soudan comme une grande menace pour leur approvisionnement vital en eau. Le Soudan et L’Egypte ont-ils alimenté les circuits en armes et autres attirails de guerre contre le régime éthiopien ? Ils y a de forts soupçons contre le Caire et Khartoum surtout que la médiation orchestrée par le président en exercice de l’Union africaine, Félix Tshisekedi à Kinshasa, il y a quelques jours ont échoué.
Murielle Kai MENSAH correspondante aux USA.
Guerre au Tigré, pour quel bilan ?
Il est pour l’instant difficile de faire une estimation des victimes de ce conflit car les autorités régionales et fédérales limitent fortement l’accès des ONG et des journalistes aux zones de combat. Selon des chiffres très partiels, chaque camp aurait perdu « plusieurs centaines » de combattants depuis le début des hostilités. Dimanche, les hôpitaux de Mekele disaient être débordés par l’afflux de blessés.
Des observateurs ont aussi dénoncé des crimes de guerres et des exactions contre les civils venant des deux côtés. Selon la Commission éthiopienne des droits de l’homme, les rebelles tigréens auraient par exemple massacré plus de 600 paysans saisonniers issus d’autres ethnies dans une localité de la région le 9 novembre.
Au-delà des victimes se pose également la question des déplacés. Pour l’instant, environ 43.000 habitants du Tigré se sont réfugiés au Soudan voisin pour fuir les combats. Selon l’ONU, ce chiffre pourrait atteindre les 200.000. L’organisation estime qu’elle aura besoin de 200 millions de dollars pour venir en aide rapidement aux populations déplacées, dans cette région du monde où l’accès à l’eau potable, à la nourriture et aux médicaments est très limité.
Que fait la communauté internationale ?
Le conflit risquant d’empirer, le Conseil de sécurité de l’ONU a tenu le 24 novembre une première réunion sur le cas du Tigré , mais n’a pas su se mettre d’accord sur une déclaration commune. Le secrétaire général des Nations unies Antonio Guterres, les Etats-Unis et l’Union européenne ont de leur côté appelé au dialogue et à la fin des combats.
Ce blocage est le fait des pays africains, qui veulent privilégier une concertation régionale. L’Union africaine a ainsi dépêché sur place le 25 novembre trois anciens chefs d’Etat pour entamer la médiation : le Mozambicain Joaquim Chissano, la Libérienne Ellen Johnson Sirleaf et le Sud-Africain Kgalema Motlanthe.
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Mais convaincre le pouvoir éthiopien sera difficile, Abiy Ahmed ayant appelé les puissances étrangères à ne pas s’immiscer dans les affaires internes de son pays. « Nous enjoignons respectueusement la communauté internationale à s’abstenir de tout acte malvenu et illicite d’interférence et à respecter les principes fondamentaux de non-intervention contenus dans le droit international », a souvent déclaré Abiy Ahmed.
Alexandre Rousse.
Journal L’Afrique en Marche du 30 juin 2021.