L'afrique en marche

Entretien/ Dr. Fidèle Sonon : « Démocratie politique et économique… ». 

Entretien/ Dr. Fidèle Sonon :  « Démocratie politique et économique… ». 

« Pas besoin de reculer le curseur de la démocratie politique pour booster la démocratie économique. ».

Dans cette interview, Dr. Fidèle Sonon, consultant en management des organisations estime que le Bénin a fait de bonnes avancées sur le plan de la démocratie politique. Cependant, pour Dr Sonon, le Bénin a échoué sur le plan de la démocratie économique qui devrait assurer les droits socio-économiques aux populations. Au regard de la situation, il recommande que quelques leviers soit actionner pour booster la démocratie économique sans devoir toucher aux acquis de la démocratie politique. De son analyse, il ressort que vouloir s’entêter pour faire le contraire, on risque de se retrouver dans une situation de ni démocratie ni développement, prévient-il.

Beaucoup d’observateurs ont déploré les effets négatifs du multipartisme intégral ? A raison ?

 De quels effets négatifs me parle-t-on? Les détracteurs de la démocratie convergent tous pour marteler que le multipartisme intégral empêche le développement du Bénin depuis 30 ans. Mais ce qui semble aussi commun à tous ces détracteurs est la faiblisse notoire de leur argumentaire. Ils évoquent en général deux raisons pour justifier la nocivité de l’option de multipartisme intégral. Il s’agit la multiplicité des partis politiques et le caractère budgétivore et chronophage des élections multiples.

Pour ce qui est de la multiplicité des partis politiques, on sait désormais que c’est un faux alibi. En effet, contrairement à ce qui se dit, il n’existait pas plus de 200 partis politiques avant l’actuelle réforme. Si on se contentait simplement d’appliquer correctement l’ancien code électoral, il y aurait à peine une quinzaine de partis politiques régulièrement inscrits au ministère de l’Intérieur. L’ancien code prescrit en effet, que tous les partis qui ont manqué de participer à deux élections législatives consécutives sont raillés de la liste des partis politiques. C’est donc bien par laxisme des régimes précédents que certains partis politiques qui sont d’ailleurs déjà vidés de tous leurs membres fondateurs, soit par le phénomène de transhumance soit pour cause de décès, continuent de figurer sur la liste des partis politiques au ministère de l’Intérieur. D’ailleurs, on connaissait les vrais partis qui continuaient d’animer la vie politique de notre pays.

Lorsque les détracteurs sont bloqués par ce contre argument, ils rétorquent que par le jeu des alliances les partis avaient la possibilité de participer aux élections législatives et pouvaient donc contourner cette disposition légale évoquée pour haut.

Mais ce nouvel argument ne convainc pas plus que le premier. En vertu de cette même loi, une alliance de partis politiques ne devrait pas la même personnalité juridique qu’un parti politique membre de cette alliance. Le juge constitutionnel peut bien opposer cette interprétation aux partis qui utilisaient le système des alliances pour contourner la loi. Mieux, si l’interprétation de la loi devrait poser des problèmes de juridisme, n’est-il pas plus simple de réviser le code et de préciser que toute participation pour être considérée comme régulière doit être faite par un et un seul parti politique?

En ce qui concerne le caractère budgétivore et chronophage, c’est encore un argument très léger parce qu’aucune étude n’a montré combien d’économie on fait en regroupant les élections. Encore que tout regroupement qui ne prescrit pas l’organisation de toutes les élections, le même jour n’induit aucune économie substantielle. Par ailleurs, l’institution d’une structure indépendante et professionnelle en charge des élections (comme on en a dans certains pays) empêcherait le phénomène de mobilisation de toute l’administration publique qu’on craint. Au demeurant, pour une matière aussi sensible que les élections, le rationnement peut être une stratégie suicidaire. Il suffit de voir tous les conflits engendrés en Afrique par des élections mal organisées pour s’en convaincre.

Profitant de ce regard inquisiteur, le président Talon, a réformé le système partisan pour l’endiguer ? N’a-t-il pas raison ?

Comme je l’ai dit plus haut, au lieu de se fonder sur l’ancien code pour nettoyer la liste des partis existants, on nous a embarqués dans une réforme chrysogène qui nous a coûtés des pertes en vies humaines et qui continue de cristalliser les énergies et nous distraire des vrais problèmes de développement.  

Comme à mon habitude, je répète encore ici que le changement dont avons besoin est moins dans de nouvelles réformes à travers des lois et décrets que de l’application réelle des textes et dispositions existants. Le mal dont souffre notre pays depuis l’indépendance est sa faible capacité d’exécution. Et je pense que le gouvernement actuel aurait pu axer son changement sur le renforcement de l’exécution. « Le changement est une rupture entre un existant obsolète et un future synonyme de progrès », diront Autissier & Moutot. Avons-nous éprouvé toutes les dispositions existantes avant de chercher à passer à de nouvelles qui vont sûrement restées aussi inappliquées? Les dispositions existantes sont-elles effectivement obsolètes?

Ainsi que vous le voyez déjà, la réforme du système partisan est un échec. Son seul mérite pour le moment est de réussir à faire comme un alliage entre le fer et la boue. Des partisans à idéologie et vision politique diamétralement opposées ont été forcés à se mettre ensemble. La réforme ne réussira à régler aucun des problèmes évoqués pour l’initier, mais elle nous coûte très chère à tout point de vue. Cela ne règlera même pas le problème superficiel de transhumance politique. Il suffit d’observer tous les débauchages ainsi que les mouvements entre les deux partis jumeaux siamois de la mouvance pour s’en convaincre.

Il ne pouvait d’ailleurs en être autrement parce que la réforme du système partisan est à la fois impertinente, inopportune et inopérante. Impertinente parce que ne répondant à aucun besoin des Béninois. Inopportune parce que ne répondant à aucune priorité de l’heure des Béninois. Inopérante parce que très mal pensée et mal pilotée.

Et pourtant le président Talon jure partout qu’il est le plus fidèle à l’esprit de la Conférence nationale de par son encadrement ?

Je ne suis pas de cet avis. A la conférence nationale, nous avions choisi clairement deux options. Il s’agit d’abord de la démocratie politique (Le multipartisme intégral, alternance au pouvoir, droits civils etc.)

Ensuite, on a la démocratie économique (ouverture à l’économie de marché, promotion de l’initiative privée, création de richesse et redistribution équitable de celle-ci avec un regard plus bienveillant envers les personnes les plus défavorisées, en un mot les droits socio-économiques)

Avec son vrai-faux diagnostic qui conclut que le multipartisme intégral freine le développement économique du pays, le régime actuel nous entraine progressivement dans une forme de « démocrature » (contamination de la démocratie par la dictature).

Osons quand même reconnaitre qu’à n’en juger qu’aux résultats, les régimes successifs avant 2016 n’ont pas réussi sur le second pan de la plus grande orientation de la conférence nationale. Pendant plusieurs années, nous avons privilégié la politique politicienne, laissant en rade les questions fondamentales de la création de la richesse et le partage équitable de celle-ci. Nous nous sommes contentés de la pluralité des partis politiques et l’alternance à la tête du pays avec l’assurance de quelques droits civils. Nous avons confondu pendant longtemps alternance et alternative; et à chaque fois, on prend les mêmes avec les mêmes pratiques et on recommence. Au plan de l’assurance des droits socio-économiques, le résultat est catastrophique et c’est bien la vérité qui devient le faux alibi du régime de la «Rupture».

Je dis faux alibi parce que le régime actuel aurait pu faire le miracle s’il avait pu maintenir en l’état le curseur de la démocratie politique, c’est-à-dire les avancées sur le plan du multipartisme, les droits civils et booster le curseur de la démocratie économique. Mais au contraire, il fait reculer le curseur de la démocratie politique pour booster le curseur de la démocratie économique, comme si les deux ne peuvent pas aller ensemble. C’est sans aucun doute les illusions du modèle rwandais, chinois et des pays appelés ‘’Dragons de l’Asie’’ qui nous font commettre cette erreur, qui dans notre cas est un recul. Ni l’histoire, ni le contexte de ces pays ne ressemble au nôtre. Encore que ces pays ont tout simplement mis en veilleuse la démocratie politique pour privilégier à un moment de leur histoire la démocratie économique, quitte à maintenir les acquis de leur démocratie économique pour booster le curseur inévitable de la démocratie politique après. On voit d’ailleurs bien que c’est au moment où la plupart de ces pays s’ouvrent progressivement à la démocratie politique que nous choisissons de reculer notre curseur sur ce pan pour prétendre booster notre économie.

C’est une erreur grave. Nous risquons de nous trouver dans une situation de ni démocratie ni développement.

Selon vous l’échafaudage politique que nous avons depuis 2016 avec un Parlement exclusif, une nouvelle Constitution depuis le 1 er Novembre 2019 sont-ils des dérives ?

De vraies dérives. Seule la révision unilatérale et non consensuelle de la Constitution est l’évidence la plus incontestable de sa violation.

Mais delà de la question de la révision unilatérale et non consensuelle de la Constitution, ce qui parait plus inquiétant est qu’on a miroité des avancées telles que la constitutionnalisation de la Cour des comptes et la promotion des femmes en politique pour insérer dans notre loi fondamentale des dispositions graves.

S’il est vrai qu’on ne peut pas créer une Cour des comptes sans réviser notre Constitution, a-t-on vraiment besoin de loger dans la Loi fondamentale, la promotion des femmes avant de le faire sincèrement? Mieux la promotion des femmes ne passe-t-elle que par des postes politiques? Il y a pleins de postes de décideurs au niveau de nos administrations publiques et privées pour lesquelles des femmes sont qualifiées sans être jamais nommées. Quelle disposition empêchait le chef de l’Exécutif dans l’ancienne Constitution de nommer autant de femmes que d’hommes dans son gouvernement?

Pour ce qui concerne la Cour des comptes spécialement, sa constitutionnalisation n’est pas un exploit en soi, même si on convient que c’est une avancée. C’est au vote et la promulgation des lois d’application que nous verrons les vraies intentions de l’Exécutif. Nous avons déjà vu des pays mettre dans leur Constitution bien avant nous, une Cour des comptes qui dans la réalité n’est qu’une coquille vide sans aucune indépendance et pouvoir réels. 

Sans même présager du mauvais contenu des lois d’application en gestation, voyons déjà le mode de désignation des membres tel que prévu par la Constitution révisée. Ça donne à craindre une institution de plus, donc budgétivore et totalement à la solde de l’Exécutif.

Prenons quelques exemples de dérives du fait de ce Parlement monocolore. Malgré le niveau relativement très élevé de la dette publique de notre pays (3251,78 milliards de FCFA au 31 décembre 2018), la récente modification de la Constitution autorise le Chef de l’État à contracter des dettes au nom du Bénin sans l’avis du Parlement, donc du peuple. Une simple information du Parlement 90 jours après suffira au président de la République. Mais on oublie que le code des marchés publics de 2009 a été déjà modifié en 2017 pour donner une superpuissance au conseil des ministres de valider des marchés gré-à-gré sans limitation de montant (articles 52 et 55). Cerise sur le gâteau, toujours par l’entremise de la révision de la Constitution, le président de la République nomme le président de la Cour des comptes (article 134-4) et les présidents de Chambres, les conseillers ainsi que les auditeurs de la Cour (Article 138bis-4) supposés contrôler les comptes de l’Exécutif. Le boulevard est tout tracé pour des dérives financières et économiques sans précédent. 

C’est le même Parlement qui a voté le nouveau code électoral qui institue la fameuse exigence de 10% du suffrage nationalement exprimé pour valider un poste d’élu municipal. Quelle incongruité! Dans le désir politique effréné de favoriser des blocs politiques qu’on croit nationaux, on foule au pied même le bon sens qui gouverne la dynamique de la décentralisation qui fait des municipales des élections essentiellement locales et de proximité.

Si le Parlement actuel est si tant préoccupé par le développement à la base comme moteur du développement économique et humain à l’échelle nationale pourquoi n’avoir pas entrepris de réviser la loi sur la décentralisation pour abroger la disposition qui met sous tutelle de l’Exécutif, les mairies et qui par surcroît permet à un préfet de révoquer un maire?

Pourquoi laisse-t-on en l’état, la loi qui organise le Conseil supérieur de la magistrature qui fait de cette institution un épouvantail dans les mains du pouvoir exécutif?

Pourquoi les députés actuels dans leur besogne de révision de la Constitution laissent-ils en l’état le mode de désignation des responsables des autres institutions de contre-pouvoir qui fait d’elles des appendices du pouvoir exécutif?

Évidemment, faire comme je dis n’entre pas dans le schéma actuel de soumettre toutes les autres institutions.

Franchement, la 8ème législature a mal touché à notre « fétiche » et désormais je crains qu’on entre dans une instabilité constitutionnelle. Chaque régime qui a la majorité nécessaire au Parlement aura « sa Constitution ».

 De 1990 à nos jours, quatre présidents se sont succédé. Soglo, Kérékou, Yayi et Talon. Qui parmi eux ont été des gardiens du temple ? Et qui parmi eux ont donné des coups de boutoir ?

Honnêtement ce qu’il fallait faire pour répondre à votre question plus objectivement est une étude scientifique comparative. Le reste ne peut-être que des opinions relativement subjectives.

Mais ce qui est sûr, il faut sortir le président Talon de ce lot. Pas parce qu’il aurait été forcément le pire des quatre à l’issue de cette étude, mais parce que je soutiens que depuis 2016, a commencé dans notre pays une nouvelle ère politique qui nous conduira soit à un état de mieux-être économique et humain avec moins de démocratie politique ou un état de pire être économique et humain avec en sus moins de démocratie politique.

Monsieur l’Expert, 30 ans après la Conférence nationale. Les attentes ont-elles été comblées ? De manière schématique quelles sont les avancées ? Quels sont les reculs ?

Comme je l’ai dit plus haut, nous avons fait de très belles avancées au niveau des droits civils, du multipartisme et de l’alternance au pouvoir. Cela nous a valu le pompeux titre de laboratoire de la démocratie en Afrique. Beaucoup d’aides publiques au développement et d’investisseurs privés nous venaient aussi comme une prime à cette avancée. Nous devons absolument maintenir ces acquis.

Par contre sur le plan de la démocratie économique, le résultat est catastrophique. Nous avons trop privilégié l’aspect politique de l’orientation de la conférence nationale au détriment de l’aspect développement économique et humain. Nous n’avons pas suffisamment développé le secteur privé qui est le plus grand pourvoyeur d’emplois durables pouvant faire des citoyens de solides consommateurs et des épargnants capables de faire tourner notre économie.

Nous devons désormais privilégier deux secteurs importants que sont l’agriculture et l’industrialisation (pour ajouter de la valeur à nos produits)

Mais tout ceci doit se faire à deux conditions. Il s’agit d’abord de promouvoir un secteur privé fort qui prend en main ces deux secteurs. Ensuite, régler le problème de l’énergie (à consommation industrielle)

Nous avons été très inefficaces sur le plan de l’assurance des droits socio-économiques à nos citoyens. C’est ce qu’il va falloir s’atteler à mieux faire maintenant sans toucher aux acquis de la démocratie politique.

Peut-on dire que les reculs sont dus à ceux qui nous dirigent ? Quelle est leur part de responsabilité ?

C’est essentiellement un problème de qualité des hommes que le Benin a. Nous n’avons pas qu’un problème de système. C’est un problème collectif qui n’est attribuable à aucun régime politique en particulier.

Le premier problème de ressources humaines que nous avons est relatif à l’éducation scolaire et universitaire. Le faible taux d’instruction et de culture générale des citoyens ne leur permet pas d’être exigeants vis-à-vis de leurs dirigeants. Les dirigeants n’ayant aucune pression des résultats et surtout de reddition des comptes sont sûrs de pouvoir rempiler sans être performants du point de vue des services rendus aux populations. 

Le deuxième niveau de problème est que le peu de citoyens ayant accès à l’instruction reçoivent une instruction trop élitiste et mal adaptée aux besoins du pays. Ainsi, nous avons des cadres qui sont plus formés à consommer la richesse qu’à en produire. La Chine par exemple qui est en passe de devenir la première puissance économie mondiale est régulièrement première dans les olympiades de Mathématiques, mais ne possède, à ce jour, aucun « field medalist », l’équivalent du Prix Nobel en mathématiques. Cela témoigne tous simplement de l’orientation qu’ils ont très tôt donnée à leur enseignement supérieur qui est plus axé sur la résolution de leurs problèmes plutôt que de produire simplement des diplômés. En Chine, avant le niveau Master, les mathématiciens sont orientés vers des filières d’application des sciences mathématiques à l’épidémiologie, l’agriculture, l’énergie etc.

Mais, au Bénin en plus d’avoir une éducation trop élitiste, ce ne sont pas les exigences techniques et scientifiques qui déterminent souvent les décisions politiques. C’est plutôt l’intellectuel qui fait des contorsions techniquement et scientifiquement inadmissibles pour répondre aux exigences politiques.

Et enfin, le troisième problème est éthique. Nous manquons de leaders qui gouvernent par l’exemple. Prenons un leader comme Paul Kagamé. Il a un leadership qu’on peut qualifier de bénévole et visionnaire. Paul Kagamé est un homme qui a vécu plusieurs années dans le maquis avec si peu que même dans l’opulence il réussit facilement à garder ses distances avec le matériel. On peut assommer ce leader de tous les maux de l’autocratie, mais on peut soutenir qu’il le fait dans l’intérêt supérieur de son peuple. Mieux, sa légitimité nationale et internationale se construit solidement sur le caractère tangible de ses résultats économiques même si certains peuvent soutenir que cette prospérité n’est pas encore descendue au dernier Rwandais. On peut trouver des tonnes d’articles sur les dérives autoritaires de Paul Kagame, mais on en trouve difficilement un sur des scandales financiers dans lesquels il serait mêlé. Il est de notoriété, que les quelques cas de son entourage immédiat ont été sévèrement réprimés avec la même rigueur autoritaire qu’on lui reproche. Il gouverne simplement par l’exemple.

Lire aussi : 61 ANS D’INDÉPENDANCE/ SECTEUR CULTUREL :  SOGLO A COMMENCÉ, TALON AUSSI. CEPENDANT, ON TÂTONNE.

La corruption reculera de manière significative le jour où nous réussirons à avoir des leaders non corrompus et corrupteurs.

Propos recueillis par Titus FOLLY

Journal L’Afrique en Marche du 1er août 2021

Bénédicte DEGBEY

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.