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Économie/ Face à la crise : le FMI appelé à l’aide par les pays pauvres.

Économie/ Face à la crise : le FMI appelé à l’aide par les pays pauvres.
L’institution doit coordonner de plus en plus de créanciers pour restructurer les dettes souveraines
Avec la hausse des prix de l’énergie et de l’alimentation, les pays dont les déficits se creusent sont de plus en plus nombreux à se tourner vers le Fonds monétaire international (FMI). Après le Ghana, le Pakistan ou encore le Sri Lanka, le Bangladesh a demandé, fin juillet, une aide de 4,5 milliards de dollars (4,4 milliards d’euros) auprès de l’institution sise à Washington. Avec la hausse de ses dépenses en énergie dont il est importateur, ses réserves en devises étrangères ont fondu de 5 milliards de dollars sur douze mois. Celles du Pakistan, suffisantes pour couvrir à peine plus d’un mois d’importations, ont aussi atteint un seuil d’alerte. Quant au Sri Lanka, il est plongé dans une crise politique, sociale et humanitaire après avoir fait défaut sur sa dette extérieure en mai.
A chaque crise, ses opportunités. Le FMI, qui se retrouve en première ligne pour sauver ces pays de la faillite, veut effacer les mauvais souvenirs laissés par les programmes dits d’« ajustement structurels », en vogue dans les années 1990 et 2000, qui combinaient baisse des dépenses budgétaires et privatisations. Le fonds a désormais banni de son vocabulaire le mot « austérité » et prône davantage les « dépenses ciblées ».
A haut risque.
« Dans ses programmes, le FMI -continue de demander l’augmentation des impôts et la baisse des subventions mais il ne touche plus aux mesures de lutte contre la pauvreté »,souligne Ganeshan Wignaraja, chercheur à l’Overseas Development Institute, installé à Londres. Sans doute est-ce la conséquence des mouvements sociaux des printemps arabes de 2011. « Ces pays avaient de bons indicateurs et des comptes à l’équilibre, or on a vu que des inégalités trop importantes pouvaient déboucher sur une crise sociale et un effondrement de l’économie, observe l’économiste Hakim Ben Hammouda, ancien ministre tunisien de l’économie. Trop souvent le FMI ne se rend pas compte de la fragilité politique des pays avec lesquels il travaille. ».
L’institution, qui dispose de 1 000 milliards de dollars de réserve, dit avoir aidé 92 pays pour un montant de 237 milliards de dollars depuis le début de la pandémie, en 2020. Un montant qui pourrait vite augmenter, puisque 60 % des pays à bas revenu sont à haut risque de surendettement, contre 30 % en 2015. « Si plusieurs dizaines de pays font défaut, alors le FMI manquera de ressources à cause de l’avarice des pays riches, déplore David Bradlow, professeur d’économie à l’université de Pretoria, en Afrique du Sud. Celles-ci ont diminué de moitié par rapport à 1944, proportionnellement à la taille de l’économie mondiale. ».
A l’été 2021, le FMI a cependant approuvé une nouvelle allocation de droits de tirage spéciaux (DTS) d’un montant équivalent à 650 milliards de dollars, la plus grande de son histoire, pour répondre au besoin mondial de réserves à long terme et aider les pays à faire face aux conséquences de la pandémie de Covid-19. Mais les pays d’Afrique n’ont reçu que l’équivalent de 33 milliards de dollars, en raison de leur faible quote-part au sein du FMI. Plusieurs -nations riches se sont engagées à leur transférer des DTS par le biais d’un nouveau fonds, qui devrait être abondé de 50 milliards de -dollars, moitié moins que les 100 milliards promis initialement. Créé le 1er mai, le « fonds fiduciaire pour la résilience et la durabilité » a pour but d’aider les pays pauvres à supporter les conséquences du changement climatique et des pandémies. Cet instrument permet d’élargir les compétences du FMI. Sa raison d’être ne se limite plus, stricto sensu, à maintenir la stabilité financière mondiale, une mission héritée de la conférence de Bretton Woods, en 1944. « A partir du moment où le changement climatique et les pandémies menacent la stabilité économique mondiale, le FMI doit s’y intéresser, justifie David Bradlow, mais l’organisation doit pour cela changer son fonctionnement, rendre des comptes et être plus proche du terrain. ».
Part détenue par la Chine.
A court terme, le FMI doit aussi coordonner les efforts de restructuration des dettes qui atteignent dans les pays émergents 250 % de leur PIB, le plus haut niveau de ces cinquante dernières années. « Or, les créanciers sont différents, plus nombreux, ce qui complique la -tâche des négociateurs du FMI », constate Daouda Sembene, chercheur au think tank Center For Global Development et dirigeant du cabinet de conseil AfriCatalyst.
La dette n’est plus le monopole des pays riches rassemblés au sein du Club de Paris, comme au XXe siècle. En 2020, ces derniers ne possédaient plus que 11 % de la dette des 73 pays les plus pauvres, contre 28 % en 2006. La part détenue par la Chine, non-membre du Club de Paris, est passée de 2 % à 18 %, et celle des investisseurs étrangers, détenteurs d’obligations souveraines, a bondi de 3 % à 11 %. « Nous ne sommes plus dans les années 1980 où le FMI, qui était le principal détenteur de la dette, pouvait dicter ses conditions », ajoute David Bradlow. Les négociations sont d’autant plus difficiles que les accords doivent respecter le principe de « comparabilité de traitement de la dette », c’est-à-dire que tous les prêteurs doivent être traités sur un pied d’égalité. « Or, dans une restructuration, les créanciers doivent accepter de perdre un peu d’argent pour ne pas tout perdre, un équilibre difficile à trouver et qui varie en fonction des intérêts de chacun », confie Daouda Sembene.
Il y a plus d’un an, les pays du G20 ont mis en place un cadre commun du traitement de la dette destiné aux pays pauvres pour faciliter les négociations avec les nombreux créanciers, auquel trois pays seulement ont souscrit. Parmi eux, seule la Zambie a trouvé un accord, fin juillet, avec ses créanciers. « Les difficultés liées à la dette se font pressantes et il est urgent d’agir », avertissait en décembre 2021 Kristalina Georgieva, la -directrice générale du FMI. « Les gros prêteurs, souverains et privés, doivent intervenir et y mettre du leur », a-t-elle ajouté en juillet.
Julien BOUISSOU ( Le Monde éco)
Site www.lafriqueenmarche.info du 13 août 2022 No 265

Bénédicte DEGBEY