Délestage en Afrique/Augmentation du prix de la baguette ? : Subventionner le pain national des africains

(Pour éviter la déstabilisation des régimes en Afrique)
Avec le délestage ces derniers temps dans plusieurs pays africains comme la Côte d’Ivoire, on se demande s’il faut augmenter ou non le prix du pain afin qu’il ne soit pas une source de conflits en Afrique.
Les boulangeries ne tournent plus à plein gaz. «Il n’y a plus le jus», disent les boulangers ces derniers temps. Ils sont donc contraints de se soumettre au plan national de délestage pour produire. Et comme il n’y a pas assez de courant donc pas assez de pain pour tout le monde.
On se rappelle le cas du Soudan, il y a quelques années. Ce qui a conduit au renversement du président Omar El Béchir, le 11 avril 2019. Le pain avec la place prépondérante qu’il occupe est un sujet complexe selon les pays et les régions en Afrique. Dans les capitales africaines confrontées au délestage, on assiste à une pénurie de pain. D’où les spéculations relatives à la hausse ou non du prix du pain.
Les boulangers mettent en avant la hausse du prix de la farine de blé, l’augmentation de 7% relative à la facture de la Société d’eau et d’énergie ainsi que le prix du carburant pour mettre la pression sur les gouvernants et sur la population.
Pour parvenir à supporter les charges liées à la production de cet aliment de consommation courante, qu’est le pain, les producteurs boulangers veulent augmenter le prix de la baguette de pain. Ce qui a commencé par induire le changement du prix chez le tenancier de boutique. Pour garantir sa marge bénéficiaire, celui-ci a décidé de le céder avec une légère augmentation. Une situation intolérable de l’avis des pouvoirs publics qui ont exigé un respect strict des prix.
Bien avant cette situation de délestage, l’opinion africaine a été marquée par la contestation générale qui a découlé de l’augmentation vertigineuse du prix du pain au Soudan. C’était en novembre 2018. La vague de répression de la part du régime de l’ancien président soudanais, El-Béchir, a conduit à des émeutes et à une radicalisation de la part des partenaires sociaux. Au finish, le régime Béchir a été évincé, le 11 avril 2019.
La baguette, notre pain national.
Sur le continent, le pain occupe une place de choix, car étant devenu le nouvel aliment à la mode au grand dam des paysans locaux. ‘’Notre fétiche’’, pour reprendre ce pseudo du pain est devenu depuis quelques années, la nouvelle tendance alimentaire en Afrique subsaharienne surtout. Elle vient de plus en plus concurrencer le riz comme aliment de base.
Le pain, aliment phare de la gastronomie française, séduit de plus en plus les Africains. Et c’est logique, quand on sait que le recours au pain dans l’alimentation est plus courant, du fait de l’importation massive de blé, et des transformations culturelles et économiques du marché alimentaire en Afrique.
Vendue entre 20 et 50 centimes d’euros (150/300 francs CFA), la baguette de pain semble indiquer un enrichissement relatif de la classe moyenne africaine. D’où cette tendance à l’import massif de blé, en hausse de près de 50% depuis 2010 en Afrique.
Cette consommation en hausse est réelle dans les pays africains pétroliers, comme le Congo-Brazzaville, la Guinée Equatoriale, le Gabon, l’Algérie, le Nigeria et l’Angola. Ces pays ont centré leur développement sur un secteur pétrolier qui génère suffisamment d’argent pour se passer à court-terme de politique de développement agricole.
Ce qu’il faut observer dans un premier temps, c’est que le blé, comme le riz par ailleurs, est un aliment de plus en plus consommé en Afrique grâce à la farine du blé. Et grâce à une distribution efficace soit par des marchés soit par des grandes surfaces, une grande majorité de la population est prise en compte du fait de l’excellent rapport prix/calorie de cet aliment (le maximum de protéines végétales pour le minimum de prix).
Mais ce qui fait encore le charme du pain, c’est qu’il ne remplace en aucun cas les régimes alimentaires, mais est consommé en tant que complément, et ce à 95% par les Africains.
Les pouvoirs publics contraints de subventionner.
Conscients du risque encourus quand les prix de la baguette de pain flambent, les pouvoirs publics africains veillent aux grains. Bien qu’étant pour la plupart lésés par les subventions agricoles à la production et à l’exportation engagées par les pays occidentaux, les autorités gouvernementales africaines consentent même des efforts pour subventionner la farine de blé.
Dans l’ensemble des pays africains, la consommation du blé́ n’a cessé́ d’augmenter ces 20 dernières années en réaction à la croissance démographique, à l’évolution des préférences alimentaires et à l’évolution socioéconomique associée à l’urbanisation.
Les pays africains sont les plus grands importateurs mondiaux de blé, avec plus de 45 millions de tonnes en 2013, ce qui représente environ 15 milliards USD. Les importations de blé représentent 60 % de la consommation africaine de blé et 80% dans les pays d’Afrique sub-saharienne (ASS). Les pays nord-africains ont la consommation de blé par tête la plus élevée et le blé́ fournit jusqu’à 50 % de l’apport journalier en calories et en protéines. Dans une Afrique sub-saharienne en urbanisation rapide, la consommation de blé devrait connaitre une croissance de 38% d’ici à 2022, avec des importations représentant déjà 35 millions de tonnes, pour une valeur de 7,5 milliards USD.
Face à l’importance grandissante du blé pour la sécurité alimentaire en Afrique, le sommet des chefs d’Etat de l’Union africaine, a adhèré à l’accord conclu entre ses ministres de l’Agriculture en janvier 2013, consistant à ajouter le blé à la liste de cultures stratégiques pour l’Afrique.
Exemples à l’appui
En Côte d’Ivoire, la production céréalière, pour le compte de l’année 2016, s’est élevée à 1 431 000 tonnes selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Pour rappel, la consommation annuelle de céréales de la Côte d’Ivoire avoisine les trois millions de tonnes. Le pays a importé, en 2015, 1 933 000 tonnes de céréales dont majoritairement le riz et le blé, selon les estimations de la FAO.
En 2013, l’Égypte était le premier importateur de blé au monde. Subventionnée par l’État, cette denrée est à la fois un enjeu stratégique et un casse-tête pour le gouvernement.
En 2014 en République Centrafricaine, beaucoup de commerçants avaient éprouvé des difficultés à s’approvisionner en farine de blé. Cette situation est due aux tracasseries routières sur la route Bangui/Garoua-Mboulaye, principal axe d’approvisionnement du pays. Les prix ont du coup connu une hausse vertigineuse. Il n’était pas aisé de trouver la farine à un prix abordable sur les marchés à Bangui. Le sac de farine de 50 Kilogrammes qui se vendait à 25.000 francs CFA s’achetait à 30.000 francs CFA. Une situation déplorée par beaucoup de consommateurs.
Au Soudan, le gouvernement avait fait face à des vives contestations après la suppression des subventions de blé en début 2018. Des centaines de personnes ont pris d’assaut les rues de Darfour, de Khartoum, la capitale et d’autres grandes villes pour protester contre la hausse des prix des produits alimentaires, notamment le blé dont la subvention a été supprimée dans le budget de 2018 et l’importation confiée au secteur privé.
En dépit de la baisse drastique des recettes de pétrole, le pays a maintenu une politique expansionniste des dépenses publiques, en reconduisant la subvention des produits de première nécessité comme le blé. Par voie de conséquence, le Soudan a été contraint à une austérité brutale se traduisant, entre autres mesures, par la suppression de certaines subventions, notamment celle du blé. D’où la hausse de son prix et du coup de celui de la baguette du pain.
Le gouvernement soudanais était obligé de dépenser désormais 35 millions de livres soudanaises par jour pour subventionner la farine de blé contre 25 millions de livres consacrées jusqu’ici.
Rappelons que le Soudan consomme plus de deux millions de tonnes de blé par an, pour une production moyenne d’environ 445 000 tonnes.
Cette augmentation avait permis au gouvernement de fournir de la matière première moins chère aux minoteries et de réduire les prix du pain qui ont doublé, en raison de la suspension de la subvention céréalière pour 2018. Cette dernière décision annoncée en janvier dernier, sur fond de chute de la monnaie locale par rapport au dollar, a engendré une contestation de la part des consommateurs soudanais.
Au Gabon, en dépit de la vision noble du chef de l’Etat, Ali Bongo Ondimba, qui a mis sur pied le Plan stratégique Gabon émergent (PSGE), en avril 2017, l’Etat a mis fin à la subvention du blé. Cette situation était en partie due à deux principaux facteurs. Il s’agissait de la baisse des recettes de l’Etat et surtout, de l’arrivée d’un nouveau concurrent, producteur sur le marché, qui a contraint le gouvernement à mettre fin au système de subvention du blé.
En outre, la dette de l’Etat a été également un facteur qui a plombé le bon fonctionnement de la Société meunière et avicole du Gabon(Smag) créée en 1969 et dont le cahier de charges a été renforcé. Résultat, elle est devenue aujourd’hui un complexe meunier d’envergure avec une capacité de production de 340 tonnes de blé par jour. Cette unité de production, le 13 avril 2016, a signé avec le gouvernement une convention d’apurement de la dette.
Ainsi, l’Etat reconnaissait devoir à l’entreprise, la somme de 11 milliards F CFA à la date du 31 décembre 2014 et actait la compensation de près de deux milliards d’arriérés fiscaux.
C’est donc neuf milliards que l’Etat s’est engagé à reverser sur une période de quatre ans. Malheureusement, cette convention n’a pas été honorée, car aucun versement n’a été effectué depuis sa signature. Ainsi, au cours de l’année 2016, la Smag qui aurait dû recevoir un total de 2,9 milliards FCFA de la part de l’Etat, n’a eu effectivement que 200 millions FCFA, soit à peine 7% des sommes prévues. Sur l’exercice 2016, la trésorerie s’est donc fortement dégradée du fait des arriérés de l’Etat.
Malgré les explications conjoncturelle et structurelle, le pain qui fait partie des habitudes alimentaires des africains comme on le voit est un facteur de paix sociale.
A s’y méprendre…
Par Esther LARRE Correspondante au Gabon