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CONSEILS COMMUNAUX/ REPRESENTATIVITE DES FEMMES  : 2020, RIEN N’A CHANGE MALGRE LA NOUVELLE CONSTITUTION

CONSEILS COMMUNAUX/ REPRESENTATIVITE DES FEMMES  :  2020, RIEN N’A CHANGE MALGRE LA NOUVELLE CONSTITUTION

Statistiques, cadre règlementaire, témoignages… démontrent que malgré les efforts consentis au Bénin, rien n’a changé pour les femmes dans les conseils communaux.
(Lire une enquête de la rédaction)
Lorsqu’on évoque la faible représentativité des femmes dans les instances de prises de décisions au Bénin, l’on ne peut s’empêcher de jeter un regard critique sur les postes électifs qui demeurent encore la chasse gardée des hommes. Et l’une des principales raisons se trouve être le faible ou le mauvais positionnement des femmes. Et après trois décennies d’expérimentation de la décentralisation au Bénin, les femmes continuent d’être mal loties dans les instances de décision au niveau communal en dépit des efforts fournis par les organisations de la société civile et des partenaires techniques et financiers
Considérées comme des élections de proximité, les communales devraient être une opportunité pour les femmes de faire leurs preuves à la base. Mais entre manque de volonté des responsables des partis politiques, réticence des époux et fausses promesses des leaders politiques, le positionnement massif des femmes sur les listes de candidatures peine à être une réalité.
Ainsi, la question de la représentativité des femmes dans les instances de prise de décisions particulièrement à la base demeure encore entière au Bénin. Et les différentes actions de sensibilisation, de formation et de plaidoyer menées par les organisations de la société civile pour voir la gent féminine se hisser au poste électif notamment dans les conseils communaux peinent à porter leurs fruits. ‘’Social Watch Bénin’’, une plateforme de la société civile s’étant inscrite dans le renforcement du leadership politique des femmes au Bénin, avait exhorté les différentes formations politiques à inverser la tendance de moins 5% de femmes conseillères communales connues par le Bénin au cours des trois premières mandatures de l’ère de la décentralisation.
C’est pour cette raison que pour la 4ème mandature de la décentralisation, c’est-à-dire les dernières communales du 17 mai 2020, dans son action de plaidoyer, ‘’Social Watch Bénin’’ a pu obtenir l’engagement moral des formations politiques en lice à l’exception du parti Bloc républicain (BR), pour ces communales de 2020. Celles-ci ont signé la charte d’équité homme et femme en politique. Il s’agit d’une charte réalisée par ‘’Social Watch Bénin’’ avec la participation des formations politiques et l’appui de ses partenaires. Malheureusement, après la publication des listes des candidatures par la Commission électorale nationale autonome (Cena), l’organe faitière en charge de l’organisation desdites élections, on note que les fruits n’ont pas tenu la promesse des fleurs.
Le document d’analyse publié en avril 2020 a révélé que les cinq listes de candidatures (UP, BR, PRD, FCBE, UDBN) dégagent un effectif de 16.439 candidatures masculines (90,57%) contre 1.711 candidatures féminines (9,43%). Et des 9.075 titulaires sur les listes, le nombre de femmes titulaires est de 720, soit 8%. Par rapport aux candidats suppléants, le pourcentage de femmes était 11%, soit 989 femmes suppléantes contre 8.086 suppléants (89%).
Après la proclamation des résultats par la Commission électorale nationale électorale, ‘’Social Watch Bénin’’, a sorti un nouveau document d’analyse qui apprécie les résultats par rapport à la présence des femmes au sein des nouveaux conseils communaux. Il en ressort qu’au plan national, 75 femmes élues conseillères communales ou municipales siègeront aux côtés de 1740 homologues conseillers. Ce qui équivaut à un taux de 4,13% de femmes pour la mandature 2020-2025.
Le mal est plus profond
Les résultats des communales de 2020 ont eu le mérite de révéler que la volonté et le militantisme politique des femmes seuls ne suffisent pas si les leaders des formations politiques ne font pas preuve de bonne foi. Déjà dans son ouvrage ‘’Femmes et pouvoir politique au Bénin: des origines dahoméennes à nos jours’’, publié en 2013 sous l’égide de la Fondation Friedrich Ebert, Marie Odile Attanasso, consultante, experte en genre et développement et ancienne ministre de l’Enseignement supérieur évoquant la composition des listes parmi les facteurs institutionnels handicapant la participation des femmes à la sphère politique nationale, estime que la procédure qui conduit à la désignation des candidats effectifs et à leur ordre sur les listes n’est pas uniformes. « L’absence de démocratie à l’intérieur des partis, le pouvoir de l’argent, la pression de ceux qui occupent des positions privilégiées etc., déterminent la composition des listes », a-t-elle mentionné. Poursuivant, la consultante en genre fait d’ailleurs constater que les femmes titulaires sont en très faibles proportion sur les listes électorales. Un constat de 2013 que vient corroborer l’étude de base du projet ‘’Engageons-nous! Pour plus de femmes en politique au Maroc et au Bénin’’ conduite par le sociologue Béranger Avohouémé du Bénin et la consultante Karima Rhanem du Maroc sous la direction de la fondation Konrad-Adenauer.
Cette étude montre qu’il n’existe aucune loi garantissant la présence des femmes à des postes de direction au sein des corps décisionnels des partis politiques. Et bien que les partis politiques reconnaissent la nécessité d’augmenter le nombre de femmes présentes dans les organes décisionnels et aux postes de direction, aucun d’entre eux n’a pour l’instant pris l’initiative de s’attaquer au manque de femmes dans ces organes à travers l’adoption de décret. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un regard sur l’organigramme des équipes dirigeantes des trois partis politiques entre lesquels les sièges des conseillers aux dernières communales ont été répartis. On compte trois femmes sur 17 membres pour le Bloc Républicain, moins d’une dizaine sur la cinquantaine que compte l’Union progressiste et deux pour les Forces cauris pour un Bénin émergent qui sont entrain de restructurer le Bureau politique.
Rien de surprenant puisque les études préliminaires du projet ‘’Engageons-nous!’’ avait déjà démontré que la présence des femmes dans le paysage politique dépend des relations de pouvoir et des normes et règles informelles au sein des partis politiques plutôt que de leur capacité à devenir des dirigeants ou du fait de l’existence de mesures volontaristes. Marino Abélio de Souza est expert en genre et spécialiste des questions électorales.
Parlant du faible positionnement des femmes sur les listes de candidatures, il analyse la problématique sous plusieurs angles tout en évoquant certaines causes qui expliquent le phénomène. D’abord la législation électorale qui exclut les candidatures libres pour les législatives et communales, obligeant ainsi toute personne désireuse de se présenter à ces élections, à passer, obligatoirement, par un parti politique. Ce qui fait intervenir d’autres réalités qui affectent particulièrement les femmes. « Il s’agit par exemple de leur faible implication dans le processus décisionnel des partis politiques du fait de l’hégémonie des hommes dans les organes dirigeants.
Ensuite, la résistance des hommes qui peinent à accepter de partager le pouvoir avec la femme », clarifie-t-il. C’est parfois au prix d’une lutte acharnée et après d’âpres négociations avec les candidats de l’autre sexe de la localité, que la femme arrive à se faire positionner sur une liste de candidatures. C’est cette résistance qui explique que, pendant plusieurs mandatures de la décentralisation, les plaidoyers pour l’introduction d’une mesure spéciale temporaire dans la législation électorale, en vue d’accroître le nombre de femmes à l’Assemblée Nationale, aient butté contre le refus des députées. « En fin de compte, lorsqu’ils ont accepté de le faire, pour accorder 24 sièges d’office aux femmes, ils ont d’abord augmenté l’effectif total des députés de 26. Nous sommes donc passés de 83 députés à 109 désormais, dont 24 sièges réservées d’office aux femmes en référence à l’Article 144 de la loi 2019 – 43 du 15 novembre 2019 portant code électoral en République du Bénin », insiste Monsieur de Souza.
La pilule est dure à avaler…
« Ce sont les hommes qui définissent les critères, ‘’cuisinent’’ les listes à l’interne et décident de quelle candidate positionner et où la mettre. Et tant que les femmes n’auront pas voix au chapitre dans les instances qui décident du positionnement, le combat pour la représentativité des femmes aux postes électifs ne sera que plaidoyers, sensibilisations, fausses promesses, juste de la poudre aux yeux », confie une militante du parti Union progressiste ayant requis l’anonymat par crainte de représailles. Selon cette militante, les dernières communales ont prouvé avec le document d’analyse de ‘’Social Watch Bénin’’ que le parti qui avait le mieux positionné les femmes est le seul dirigé par une femme. Il s’agit du parti UDBN de Claudine Prudencio.
C’est dire sans toutefois généraliser qu’il faut des femmes pour mieux positionner leurs pairs. Solange Gbessin épouse Yéssoufou, Bénéficiaire du programme Renforcement des capacités des femmes (Recafem 4), militante et membre fondateur du parti Bloc républicain (BR) a été positionnée 6ème suppléante aux communales de 2020. Ce qui ne lui a pas permis d’être élue. « On voulait cinq postes à pourvoir dans ma circonscription électorale et malgré mon militantisme et mon leadership, j’ai été positionné 6ème suppléante. C’était perdu d’avance », se désole t-elle. C’est aussi le cas de Emma Gaga, jeune femme leader, qui s’est retrouvée 5ème suppléante sur la liste BR dans une autre circonscription. Et dans ce sens, les témoignages anonymes des femmes issues des FCBE et du PRD et d’autres chapelles politiques foisonnent.
Des déclarations qui prouvent à suffisance comment le faible ou le mauvais positionnement des femmes étouffent leur engagement et plombe les efforts des partenaires et ne permet pas de capitaliser les fruits des investissements afin de soutenir davantage les actions visant à œuvrer pour plus de femmes dans les instances de prises de décision. Gwladys Tawema, présidente du creuset ‘’Femme engagée pour des nominations et élections paritaires’’, reconnait également pour sa part que l’un des goulots du changement de la donne vient de la justification par les hommes appartenant aux diverses chapelles politiques. « Ceux-ci soutiennent que ce sont eux qui ont lutté pour que les partis existent et qu’il n’est pas question que des femmes revendiquent des positions au sein de ces organisations, alors qu’elles n’ont rien fait pour la construction desdits partis politiques », confie-t-elle.
Outre cette position des leaders politiques, la présidente de FENEP précise que malgré l’évolution des politiques de genre dans le monde et en Afrique en particulier, avec les cas du Rwanda et du Sénégal pour ne citer que ces derniers, les femmes béninoises restent aujourd’hui encore confrontées aux pesanteurs socio culturelles. Quoi qu’il en soit, les disparités sexuelles en politique constituent l’un des défis majeurs au XXIe siècle. Selon une résolution de l’Assemblée des Nations Unies, publiée en décembre 2011 (n° A/ RES/66/130), les femmes en dépit de leur origine, restent absentes de la sphère politique, principalement en raison des dispositions juridiques défavorables, de la culture patriarcale, de la politique sexiste, des stéréotypes sociaux ainsi que des faibles niveaux d’éducation et d’alphabétisation, sans oublier la pauvreté.
Une réalité à laquelle le Bénin ne fait pas exception et continue de se battre pour corriger le tir.
Enquête réalisée par Doris DJÈTON
Le journal l’Afrique en marche du samedi 3 avril 2021
 

Bénédicte DEGBEY

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