Le ministère de la Communication n’existe plus depuis le remaniement du 25 mai 2021. Cette situation vient s’ajouter à une série de situations antérieures qui font que tout porte à croire que le gouvernement Talon a des comptes à régler avec la presse béninoise.
Le code du numérique mis en vigueur à partir d’avril 2018 a été vanté par le régime de la ‘’Rupture’’ comme un texte de lois porteur de nobles objectifs. Malheureusement, le code du numérique s’est révélé dans la pratique comme un instrument de répression de la liberté d’expression et de la liberté de la presse. Malgré la mobilisation et le plaidoyer des acteurs des médias, et en dépit de la dénonciation des organisations de défense des droits humains, les autorités béninoises n’envisagent pas de céder d’un pouce.
Pour le législateur et les autorités de Cotonou, le code du numérique vise à une transformation structurelle de l’économie béninoise. Tout ceci en lien avec le gouvernement Talon à travers son programme d’action 2016-2021. De ce document de politique gouvernementale, le numérique est l’un des quatre domaines de concentration des investissements. Il s’agit clairement de faire du pays le « hub numérique » de l’Afrique de l’ouest.
Adopté au Parlement en juin 2017, le code du numérique était présenté par le gouvernement qui l’a proposé, comme un «instrument pertinent et fiable de l’accès individuel et collectif à toutes les utilités du numérique ». Les innovations du texte furent abondamment mises en exergue : l’écrit électronique comme élément de preuve ; le cachet électronique qui vient compléter le dispositif d’identification électronique de la personne et la certification de sa signature… Sans oublier, en matière commerciale, toutes les avancées liées à la conclusion du contrat électronique, l’exercice du droit de rétractation, la question des garanties et de la responsabilité.
Déphasage avec la réalité
Plaque tournante de la criminalité électronique en Afrique, connue dans le pays sous le nom de phénomène des «gaymans », le Bénin avait d’importants défis à relever en matière de cyber-sécurité et a mis en place, dans le cadre du code, ce que le gouvernement a appelé « une ceinture juridique contre la cybercriminalité ».
Cependant, au lendemain de la promulgation du texte législatif, les professionnels (elles) des médias du Bénin découvrent rapidement que, sous les mérites du volumineux code de 662 articles se cachent d’importantes menaces pour leur liberté. Jusqu’aux premières arrestations et condamnations, les journalistes béninois ne se sentaient pas concernés par le code du numérique. Leur profession reste régie par un code de déontologie (1999) et un code de l’information et de la communication (2015) qui a partiellement ‘’dépénalisé’’ les délits de presse : ceux-ci sont pour la plupart sanctionnés par des peines financières à l’exception des infractions de presse qui appellent aux crimes et délits ou celles commises contre la chose publique.
Les journalistes étaient surtout confortés par l’article 558 du code du numérique qui semble avoir sorti les professionnels (elles) des médias traditionnels de son champ d’application. Cette disposition mentionne que, pour les infractions de presse, «…par le biais d’un moyen de communication électronique public. » et « quel qu’en soit le support », ce sont les peines prévues par la loi n°2015-07 du 20 mars 2015 portant code de l’information et de la communication qui s’appliquent.
A l’épreuve des faits, la réalité était autre, car il y avait une dynamique en lien avec la volonté du législateur d’exclure les professionnels (elles) des médias du champ d’application du code du numérique. Malheureusement, ce n’est pas le cas au regard de la pratique.
Lorsqu’une infraction est commise au moyen des technologies de l’information et de la communication, on avait cru que la nature de la personne responsable est importante dans le choix du texte voire de la procédure à appliquer : « s’il s’agit d’un journaliste, c’est le code de l’information qui s’applique ; si la personne responsable est un non journaliste, on revient au droit commun, à savoir le code pénal et le code du numérique. ».
Sauf que dans la pratique de ces dernières années, le code du numérique est devenu le symbole du retour des peines privatives de liberté pour les journalistes dans le cadre de l’exercice de leur profession. Moins de deux ans après sa promulgation, le code a servi à poursuivre une vingtaine de personnes dont trois journalistes et huit cyber-activistes, notamment sur le fondement de son fameux article 550 qui réprime le harcèlement par le biais d’une communication électronique et la fausse nouvelle.
Après plus d’une trentaine d’années de pratique professionnelle marquée par un pluralisme foisonnant et une réelle liberté de ton, la presse béninoise doit faire face à une triste réalité. Avec l’avènement du code du numérique, les acteurs des médias voient planer sur leur tête un : « climat de censure et de peur. ».
Recul, plus d’acquis en matière de dépénalisation
L’état d’esprit actuel fait que : « le code du numérique permet d’attaquer un journaliste comme un simple citoyen, à partir du moment où ce qu’il dit est publié en ligne. Mais aujourd’hui, quasiment tous les médias sont en ligne ! Notre loi de l’information protège les journalistes en dépénalisant le délit de presse. Le code du numérique, lui, les jette en pâture à ceux qui leur en veulent ».
Les organisations internationales comme ‘’Amnesty International’’ ont commencé par exhorter le gouvernement Talon à faire en sorte que le code béninois du numérique ne viole pas les obligations du Bénin en matière de protection des droits humains.
Ainsi, le langage utilisé dans l’article 550 du Code du numérique portant sur le harcèlement par le biais d’une communication électronique qui était « vague et trop large », doit cesser de l’être.
De ce fait, les autorités de Cotonou : « doivent réformer le code du numérique sans attendre, et ne plus recourir à certaines de ses dispositions pour harceler et menacer ceux qui expriment des opinions divergentes », peut-on lire dans un communiqué que l’organisation a publié le 20 janvier 2020.
Le Bénin devait agir pour que le code du numérique soit : « en conformité avec le droit international, afin qu’il ne soit plus utilisé pour arrêter, condamner et détenir arbitrairement un journaliste. ». Mais contre toute attente, rien n’y fit.
Attentes déçues, associations de presse au front
Avec la pression, 20 députés béninois ont introduit un projet d’amendement du code le 12 novembre 2020. Une initiative qui a suscité beaucoup d’espoirs qui seront finalement déçus. Le 10 décembre 2020, la loi modificative a été votée ; elle amende trois dispositions majeures qui n’ont aucun lien avec les attentes de l’opinion publique : les articles 121, 125 et 464 qui consacrent la réduction du nombre des conseillers de l’Autorité de Régulation des Communications électroniques et de la Poste et autres.
Ayant compris que la dénonciation seule ne suffit plus, les organisations professionnelles des médias ont décidé de changer d’approche en initiant un plaidoyer. Le document de plaidoyer adopté en février dernier comporte deux revendications majeures. Il s’agit dans un premier temps : « d’exclure du champ d’application du code, toutes les entreprises de presse et les professionnels des médias » puis réécrire l’article 558 portant sur les infractions de presse par le biais d’une communication électronique. Pour les associations de presse : « toute infraction de presse commise par un journaliste et autres professionnels des médias dans l’exercice de leur profession par le biais d’un moyen de communication électronique public, est poursuivie et punie des mêmes peines que celles prévues par la loi 2015-07 du 20 mars 2015 portant Code de l’information et de la communication en vigueur quel qu’en soit le support ».
Le dernier alinéa de cette disposition précise que « les infractions de presse sont celles commises à l’occasion de la collecte, du traitement et de la diffusion d’une information de presse ». Une précision destinée à renforcer la compréhension selon laquelle les journalistes ne sont pas concernés par les sanctions du code du numérique dans la mesure où ils exercent dans le cadre strict de leur profession.
Douche froide de Talon
«Les gens n’ont rien à faire des condamnations financières…il est important que chacun puisse répondre, les uns autant que les autres, de ce qu’il fait devant la loi.». Ainsi, s’exprimait Patrice Talon lors d’un entretien sur la télévision nationale (ORTB), le mercredi 19 février 2020. On est dès lors donc désormais fixé.
Peut-on espérer dans ces conditions une mansuétude de Patrice Talon pour que la presse béninoise ait une chance à brève échéance d’avoir ce traitement différentiel ? Il y a un élément majeur qui permet d’en douter. Il s’agit de cette opinion sans ambages de Patrice Talon en ce qui concerne l’application exclusive de condamnations financières ou civiles contre les délits de presse. Sans ambiguïté, Patrice Talon a exprimé à mots à peine voilés sa préférence pour les arrestations des journalistes.
L’opinion qui fait dire que le code numérique a servi de cheval de Troie pour remettre en cause la ‘’dépénalisation’’ des délits de presse au Bénin semble donc être vérifiée. Avec l’enterrement du ministère de la Communication, tout porte à croire que Patrice Talon en cinq ans n’a cessé de porter de nombreux coups de boutoir à la presse.