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CEDEAO/ Sommet d’Accra ce jour : Succession de Akufo-Addo, « dossier électrique »

CEDEAO/ Sommet d’Accra ce jour : Succession de Akufo-Addo, « dossier électrique »
Le sommet d’Accra du 3 juillet doit officialiser la nomination d’un nouveau président de la CEDEAO pour succéder au Ghanéen Nana Akufo-Addo. Le sommet doit aussi tabler sur la nomination des nouveaux commissaires de l’organisation régionale. Deux sujets électriques qui ont considérablement tendu les relations entre chefs d’Etat ouest-africains.
Enquête.
Côté pile, les membres réunis au sommet de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le 3 juillet à Accra, devraient passer en revue la situation au Burkina Faso, en Guinée et au Mali, où un dégel progressif des sanctions de l’organisation régionale est espéré.
Côté face, le rendez-vous doit permettre de mettre la dernière main à la répartition des postes de commissaires entre les 15 Etats de la CEDEAO. Un sujet qui a électrisé les tensions, ces derniers mois, entre capitales ouest-africaines.
Réforme dans la discorde…
En filigrane de cette sourde bataille d’influence figure le projet de réforme de l’instance panafricaine. Portée par le Nigeria et le Ghana – qui contribuent à eux deux pour près de la moitié du budget de la Cedeao -, cette réforme vise à réduire drastiquement le coût de fonctionnement de l’organisation.
Selon un document interne consulté par « Africa Intelligence », les initiateurs du projet souhaitent faire passer le budget de fonctionnement à 35 % (contre 65 % actuellement) et celui des programmes à 65 % (contre 35 %). Ce qui devrait permettre de lancer un plan d’économie de près de 50 millions de dollars par an.
Mesure phare de ce projet : la réduction des postes de commissaires de plus de la moitié, passant ainsi de 15 à sept. La manœuvre n’est cependant pas sans incidence, l’organisation étant actuellement structurée de façon que chacun des quinze Etats membres puisse être représenté par un commissaire.
Pour tenter de préserver ce fragile équilibre, la majorité des pays d’Afrique francophone a tenté en vain de suspendre la réforme, se heurtant à la ferme opposition d’Abuja et Accra. En effet, pour obtenir gain de cause, le président nigérian Muhammadu Buhari n’a pas hésité à dégainer un argument de taille : le gel de la contribution d’Abuja. Une menace particulièrement coercitive au sein de l’organisation ouest-africaine : le Nigeria apporte à lui seul près de 38 % du budget de la CEDEAO, suivi par son allié ghanéen (17 %), la Côte d’Ivoire (13 %) et le Sénégal (8 %).
Bataille des commissaires…
Aux tensions internes liées à la réforme, se sont ajoutées les discussions autour de la répartition des postes de commissaires. Celui de président de la commission de la CEDEAO, occupé jusqu’en mai par l’Ivoirien Jean-Claude Kassi Brou, reviendra, comme le veut le règlement (le système de rotation se fait selon l’ordre alphabétique des Etats), au Gambien Oumar Alieu Touray. Le président gambien Adama Barrow a d’ailleurs multiplié ces derniers mois les missions de lobbying auprès de ses pairs, espérant même pouvoir investir son candidat lors du sommet du 4 juin. La vice-présidence de la commission devrait quant à elle revenir au Togo.
La bataille la plus âpre s’est jouée pour le stratégique poste de commissaire « Affaires politiques, paix et sécurité » occupé par le Béninois Francis Béhanzin. Une position clé au sein de l’instance, sur laquelle le Ghana et le Sénégal avaient tous deux des vues. Après plusieurs mois de tractations, elle devrait échoir au Ghana, dont le candidat est également soutenu par Abuja. Néanmoins, cette décision passe mal auprès des Etats d’Afrique francophone, car le poste est traditionnellement dévolu à un francophone. A Dakar, elle laisse un goût amer, le Ghana jouissant déjà de trois postes statutaires (commissaire « Politiques macro-économiques », auditeur général et président de la cour) en plus de la présidence de la Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO (BIDC).
Macky Sall n’aurait ainsi pas totalement abandonné ses vues pour le poste.
En cas de concession sénégalaise, Dakar devrait obtenir le poste de commissaire aux affaires sociales en plus d’un deuxième lot de consolation : la tête de l’ Organisation ouest africaine de la santé (OOAS). Le Nigeria devrait hériter du département des services internes, et la Côte d’Ivoire celui des affaires économiques. Quant au poste de commissaire « Infrastructures, énergie et numérisation », il reviendra au Niger. Conformément à la procédure, chaque pays avait proposé trois candidats à la commission de sélection interne. Ces derniers ont été auditionnés mi-juin à Accra par le Conseil des ministres de la CEDEAO, qui a entériné la liste des nouveaux commissaires à la fin du mois.
Le poker menteur pour la présidence…
Enfin, la succession de Nana Akufo-Addo à la présidence de la Cedeao est au cœur des intrigues en vue du sommet du 3 juillet. La désignation du chef d’Etat bissau-guinéen, Umaro Sissoco Embalo, initialement pressenti, apparaît de plus en plus hypothétique. Ce dernier est pourtant en campagne pour le poste depuis de deux ans. La situation à Bissau est jugée encore très instable par plusieurs de ses pairs : il a été victime d’une tentative de putsch début février et la CEDEAO prévoit l’envoi d’une force d’appui à la stabilisation du pays. La candidature d’un pays lusophone avait pourtant séduit dans plusieurs capitales et au sein d’une organisation structurée entre francophones et anglophones. Seul autre pays lusophone de l’institution qui aurait pu suppléer la Guinée-Bissau, le Cap-Vert traîne 10 ans d’arriérés de cotisations malgré un plan d’apurement en vigueur depuis 2017. Une situation qui oblige la CEDEAO à désigner un président d’un pays francophone après deux ans de présidence ghanéenne. Embalo n’entend néanmoins pas lâcher l’affaire et s’est lancé dans une vaste opération de lobbying.
Afin de contourner les problèmes d’instabilité politique à Bissau, l’hypothèse de tenir les sommets de l’organisation à Dakar et Abuja en cas de présidence bissau-guinéenne a notamment été évoquée ces derniers jours.
Deux autres scénarios sont aussi à l’étude pour la succession à la tête de l’instance. Le premier, très hypothétique, la verrait revenir à Patrice Talon. Cependant, peu investi sur les questions diplomatiques, le chef d’Etat béninois ne se positionne pas vraiment comme candidat lui qui a déjà pris la présidence de l’ Union économique et monétaire ouest-africaine.
Deuxième scénario, qui semble s’imposer : la rétrocession de la présidence de la Cedeao au chef d’Etat ivoirien Alassane Ouattara, doyen de l’organisation, ce dernier est très impliqué dans la gestion des crises maliennes, burkinabè et guinéennes. Le Togolais Faure Gnassingbé a également été approché, tout comme le Sénégalais Macky Sall qui occupe en revanche déjà la présidence de l’ Union africaine (UA) jusqu’en 2023.
Source « Africa Intelligence »
Site www.lafriqueenmarche.info du 03 juillet 2022 No 224

Bénédicte DEGBEY