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Carnet noir /En guise d’hommage: IL S’APPELAIT RENÉ AHOUANSOU…( Une interview du professeur avec un magazine panafricain) 

Carnet noir /En guise d’hommage: IL S’APPELAIT RENÉ AHOUANSOU…( Une interview du professeur avec un magazine panafricain)
Je viens d’apprendre que René Ahouansou s’est éteint! Puisse-t-il reposer en paix… Professeur des études américaines au département des Langues, lettres et civilisations étrangères de l’université d’Abomey-Calavi, René Ahouansou a joué un rôle de premier plan dans la tenue, en février 1990, de la conférence nationale du Bénin. 25 ans après, je l’ai rencontré la première fois à Cotonou et il est revenu, avec une grande déception, sur le bradage des acquis de ce rendez-vous historique qui a fait tache d’huile sur le continent. On était alors à une année de l’élection présidentielle de 2016 au Bénin, et il n’a pas manqué d’évoquer, avec gravité, la situation sociopolitique du pays. Je reproduis ici cette interview, recueillie il y a sept ans maintenant, pour la mémoire et pour l’histoire… », écrit notre confrère de grand format Serge Mathias Tomondji du magazine panafricain « Notre Afrik » en guise d’hommage suite au décès de René Ahouansou
▪︎Vous êtes, avec Me Robert Dossou, l’une des deux personnalités à avoir «vendu» le concept de la conférence nationale à l’ancien président Mathieu Kérékou. Que reste-t-il de cette conférence nationale 25 ans après?
¤ Il ne reste pas grand-chose! Nous avons tourné le dos aux résolutions. Après la conférence nationale, quand nous avons fini de dire «Plus jamais ça!», nous avons noté, très peu de temps après, un éloignement vis-à-vis des grandes orientations. Non, vraiment, il ne reste pas grand-chose de la conférence nationale.
▪︎Certains Béninois pensent que le pays est revenu, 25 ans après, à la situation pré-conférence nationale…
¤ Je les crois volontiers. Mais ce n’est pas la peine de retourner à une autre conférence nationale. Il faut simplement que les acteurs politiques fassent le point et se rendent compte que l’émiettement de la scène politique favorise l’émergence d’hommes nouveaux qui n’ont pas nécessairement pour objectif de servir les ambitions du peuple, mais plutôt leurs propres intérêts.
Nous avons dénoncé la corruption hier, mais elle est encore plus rampante qu’hier. Aujourd’hui, le pouvoir politique ne répond plus à aucune norme. Les contre-pouvoirs qu’on a mis en place, à savoir la Cour constitutionnelle, l’Assemblée nationale, etc., ne jouent pas leurs rôles, et sont inféodés au pouvoir exécutif. La pratique que nous voyons de la Cour constitutionnelle est malheureuse. C’est une trahison pure et simple des idéaux de 1989. C’est nous qui, à l’université, avons tracé les grandes lignes de cette République que nous voulions différente. Mais nous ne voyons plus cette République-là! Elle est perdue dans les sables mouvants des intérêts personnels.
▪︎Faut-il alors changer de République ?
¤ On ne change pas de République, il faut changer les hommes! L’éthique politique doit être fondamentalement revisitée, les pratiques sociales et politiques doivent être revues. C’est inadmissible qu’on confie la constitution de la Liste électorale permanente informatisée (Lépi) à une équipe et qu’elle en fasse n’importe quoi! Et c’est inconcevable que cela ait été fait par des professeurs d’université. De même, qu’on veuille corriger cette Lépi de 2011 en créant le Comité d’orientation et de supervision (Cos-Lépi) qui fait n’importe quoi également, c’est tout autant incompréhensible. (…).
Je ne comprends pas pourquoi cette tâche n’a pas été confiée à l’Insae (Institut national de statistiques et d’analyses économiques, Nda), qui est une structure étatique efficace qui a toujours été capable de mener à bien les opérations de recensement général de la population et de l’habitat. De toute évidence, c’est la structure la plus habilitée pour conduire ces opérations-là en un temps record, et je ne vois pas pourquoi les députés ont pensé qu’il fallait créer une supervision politique.
▪︎À quelques semaines de l’échéance constitutionnelle des élections législatives, le Bénin est-il donc dans une impasse?
¤ Bien sûr, on est dans une impasse! (…) C’est dommage, il y a tellement de détails dont on aurait pu faire l’économie. Je vous le dis honnêtement, ces choses-là me font mal parce que ce n’est pas le rêve que nous avions fait. Nous avions pris des risques à l’époque. C’est nous, à l’université, qui avions dit qu’il fallait que les choses changent. Nous sommes les autorités académiques et morales de ce pays. Il faut donc nécessairement que l’université sorte de son mutisme. Ce silence-là est coupable!
▪︎La Cour constitutionnelle a finalement fixé, le 9 janvier 2015, les délais du calendrier électoral. Un balisage satisfaisant?
¤ Des commentaires que j’ai pu entendre, la Cour constitutionnelle s’avance un peu à l’aveuglette. Elle aurait dû parler plus tôt, réveiller l’opinion publique plus tôt, tirer la sonnette d’alarme plus tôt… Elle n’a pas été à l’écoute du peuple.
La Cour constitutionnelle est là pour dire le droit, qui est consigné dans le texte de la Constitution. Elle devrait rappeler à l’Exécutif ses obligations. Et je dis que le chef de l’Etat aurait dû, à un moment donné, mettre un terme aux lenteurs observées par le Cos-Lépi dans la constitution de la liste électorale en confiant la tâche à l’Insae.
Mais le chef de l’Etat lui-même, au regard de sa volonté de briguer un troisième mandat, ne favorise pas la clarté du débat…
▪︎Vous pensez vraiment que le chef de l’État cherche à se maintenir au pouvoir?
¤ Oh oui, il cherche! L’objectif du chef de l’Etat, c’est de revenir. Il a beau le démentir partout, répéter dans tous les forums qu’il va partir, il ne pose malheureusement pas les actes de quelqu’un qui s’en va. Quand il va à l’intérieur du pays, dans les zones du septentrion, et qu’il tient des propos qu’aucun chef d’Etat ne peut tenir — comme «quand je ferai descendre les miens» —, on aurait dû le passer devant la Haute cour de justice depuis longtemps. J’avoue que je ne comprends pas nos juristes, ni nos législateurs. «Quand je ferai descendre les miens», cela veut dire quoi? Les siens sont où? La veille du 1er août (fête nationale du Bénin, Nda) en plus!
▪︎Après bientôt deux mandats à la tête du pays, que retenez-vous de l’action du président Boni Yayi?
¤ Le Bénin a reculé sur tous les plans. Tenez! On parle d’une croissance de 6%, mais s’il y a croissance on devrait la ressentir dans le tissu social. S’il y a marasme économique, c’est que l’économie ne se porte pas bien. Si le port de Cotonou a moins de navires que celui de Lomé, cela signifie que notre port, qui est le poumon de notre économie, ne fonctionne pas. Cela veut donc dire que notre port est malade et n’est plus
compétitif.
De même, le Bénin produit moins de coton aujourd’hui que du temps du président Nicéphore Soglo (1991-1996, Nda). Et pourtant, les sommes colossales déversées dans le secteur du coton devraient nous valoir une production plus importante, des exportations plus massives et des rentrées de devises consistantes. Je ne pense pas que ce soit le cas à l’heure actuelle.
▪︎Il y a tout de même des efforts sur le plan des infrastructures…
¤ (Dubitatif) Hum, regardez l’état de nos voies! Ce ne sont pas les quelques passerelles exécutées qui constituent un effort. Je crois qu’il y a plus de déperdition d’énergie, de ressources, qu’il n’y a d’investissements réels. Les chantiers que l’on confie à des compagnies chinoises sont-ils bien exécutés? N’y a-t-il pas moyen de faire mieux, de faire plus? Par exemple, la principale voie de sortie du pays vers le Nord est dans un état effroyable depuis des années. Les cars et bus doivent faire un grand détour par Porto-Novo, la capitale (sud-est).
▪︎À quasiment un an de la prochaine élection présidentielle, êtes-vous inquiet pour le Bénin?
¤ Je crois qu’il y a des raisons d’être inquiet. On ne sait pas si celui qui est là est décidé à partir. En dépit de ses déclarations, pose-t-il des actes qui signifient qu’il n’a pas l’intention de revenir? S’il s’en va, y a-t-il aujourd’hui une équipe prête à prendre la relève? J’avoue que lorsque j’observe le personnel politique, je ne vois personne de crédible. Je ne vois pas un homme, une équipe, les cadres capables de prendre en charge les divers secteurs ministériels.
 
© Serge Mathias Tomondji
(in Notre Afrik N°52, Février 2015)

Bénédicte DEGBEY

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