L'afrique en marche

Bénin zones enclavées /Génération numérique : Les garçons ont tout, les apprenantes à la traine

Beaucoup d’apprenantes, à l’heure de la génération numérique sont encore en marge de la révolution technologique dans les zones enclavées.
«Internet, je ne peux vraiment l’expliquer. C’est une machine avec laquelle on effectue des recherches ?», lance Maryse A. 12 ans en classe de 5ème, dans un collège public dans la commune lacustre de Sô Ava.
Par cette déclaration, tout démontre que Maryse A. ne sait pas grand-chose de l’Internet. Et les éclats de rires provoqués par sa réponse chez ses camarades sont loin de la décourager.
En effet, contrairement aux garçons, les apprenantes sont nombreuses dans les zones enclavées à ne pas encore découvrir ce qu’est un ordinateur. Mieux, savoir l’utiliser pour réussir leurs devoirs de maison, voire assurer son avenir. « J’espère qu’une fois en classe de 4ème , je vais pouvoir commencer à l’utiliser pour être assez intelligente. Ça m’intéresse beaucoup. », ajoute-t-elle, l’air sérieux.
Loin de la réalité
Cependant, les réalités dans cette localité ne sont pas de nature à concrétiser aussi vite cette ambition. En réalité, au Bénin, le taux de pénétration d’Internet au premier trimestre de 2021 est de 70,40 %. Mais, dans les milieux ruraux, le fossé est encore grand, comparativement au milieu urbain où les centres informatiques pullulent. Avec un taux d’électrification très faible, et une connectivité précaire, les technologies de l’information et de la communication (Tic) entrent très peu dans le processus de formation des apprenants de Sô-Ava. Que ce soit au CEG Sô-Ava créé depuis 1986, ou dans les autres collèges à Vekky, Ahomey-Lokpo, Ganvié ou à Gbéssou, les conditions sont pour le moment peu réunies pour que les Tic et Internet prennent place dans l’éducation des jeunes.
Premier maire de Sô-Ava de l’ère de la décentralisation, André Todjè en sait beaucoup sur la situation : « Nul n’ignore que le numérique au XXIe siècle est indispensable dans la vie d’un humain, encore plus dans la vie des élèves et étudiants. Mais sur les 69 villages, ce sont seulement quatre qui sont électrifiés. », déclare-t-il.
Il poursuit : « Même si nous devons œuvrer pour que les populations aient d’ordinateurs dans leurs maisons, il faut de l’énergie pour les recharger. Peut-être que sans cette contrainte, chacun des cinq collèges aurait un centre informatique. », précise-t-il.
Dans ce milieu enclavé où la mobilité est très difficile pour les élèves, surtout en période de crue, se connecter à Internet devient ainsi accessoire bien qu’indispensable.
Aussi, l’indice de pauvreté humaine de la commune qui d’ailleurs est le plus élevé du département de l’Atlantique ne favorise pas la propension des équipements technologiques dans les ménages.
Certains se contentent juste d’un panneau solaire pour éclairer la concession, et d’autres en très forte minorité font usage de postes téléviseurs. Les élèves sur le Lac Nokoué, surtout les filles se contentent plus de livres que de technologies. Beaucoup finissent leurs études secondaires sans avoir eu véritablement recours au numérique.
Sortir de l’isolement
Candidate au Bac 2022, sans téléphone portable et sans ordinateur dans son environnement immédiat, Yvette Agossou a l’art de se débrouiller pour se cultiver.
« Je demande souvent à mon frère aîné de m’aider à faire des recherches à l’aide de son smartphone pour les devoirs de maison. Quand il n’est pas là, je ne parviens à rien faire.», confie-t-elle.
Cette élève n’est pas la seule à éprouver cet isolement vis-à-vis du monde du numérique. « Il n’y a pas un centre informatique proche de notre collège. Arrivée à la maison, je fais recours aux documents utilisés par nos frères aînés, surtout les cahiers de cours des années antérieures. Si l’État peut nous doter d’un centre multimédia, ce sera bien », souligne Martine Akpogbèyon, également en classe d’examen.
Certains garçons rencontrés après les cours ont la possibilité de faire usage de téléphones pour se connecter et acquérir de nouvelles connaissances. Ce qui n’est souvent pas le cas des filles. « Les parents refusent souvent à nos sœurs l’usage du téléphone. Je ne sais pas la vraie raison. Peut-être craignent-ils les mauvaises fréquentations. », fait savoir Arnaud Houngbo, élève et responsable de classe.
Sella Teyeton est l’une des rares filles à en disposer témoigne. « Ça m’aide à faire mes devoirs de maison. Hier par exemple, à l’aide du téléphone, j’ai pu avoir quelques idées sur le cours de français, sur les notions de convergence, de thèse, etc. Je me cultive beaucoup avec. », souligne-t-elle.
La crainte d’une grossesse précoce et de la perversité est souvent mise en relief par des parents réticents pour empêcher les filles à avoir un Android. Coordonnateur de la Cellule de participation citoyenne de Sô-Ava, Joseph Zannou Oké a eu à conduire par le passé, le projet ‘’Espace jeunesse’’ qui a permis d’initier à l’informatique, dit-il, plusieurs centaines de jeunes de la commune.
Il en sait beaucoup sur les disparités. «L’exclusion est réelle, mais je pense que cette manière de penser est révolue. Aujourd’hui, l’expérience a montré que beaucoup de filles qui ont des téléphones intelligents excellent bien dans les études. Parce qu’avec l’éducation à la sexualité dans les écoles et un peu partout, elles en prennent conscience pour éviter de tomber dans les travers. Il faut que les filles aussi soient initiées à l’usage des Tic pour avoir les mêmes chances de réussir. Ça permet d’avoir d’autres ouvertures en dehors des cours classiques. », martèle cet acteur de la société civile.
En face de l’hôtel de ville de Sô-Ava, de l’autre côté de la rive, un centre informatique permet à certains apprenants d’être initiés. Il a été mis en place par André Todjè en sa qualité de président du Groupe de solidarité et d’appui au développement endogène (Gsade-ONG).
Déjà, 14 promotions y ont été formées. Mais, très peu de filles figurent dans le lot. Les élèves de Sô-Ava, Vekky et de Ganvié sont les plus présents à cause de la distance. Parce que pour se déplacer, il faut forcément une pirogue.
Cependant, à côté des contraintes de mobilité, d’autres obstacles se dressent sur le chemin des filles. « Nous en avons eu très peu de filles. Elles font à peine le tiers de l’effectif total des promotions. Il y a des contraintes socioculturelles à prendre en compte. Une fille qui doit quitter l’arrondissement d’Ahomey-Lokpo pour venir ici, les parents vont lui poser beaucoup de questions. Les filles n’ont pas la même liberté d’aller et de venir que les garçons », explique l’élu local.
‘’Plan International’’, cette institution internationale qui veille de son côté à ce que les filles aient un accès égal à l’apprentissage des compétences techniques et de l’alphabétisation numérique à l’école y tient. « Il est de notre responsabilité de veiller à ce que, au lieu d’être encore un autre obstacle, la technologie et Internet deviennent un facilitateur d’émancipation pour les filles et les femmes.», insiste l’organisation.
Beaucoup d’acteurs locaux pensent ici, dans ce milieu où la scolarisation des filles reste un combat, que les Tic peuvent contribuer à avoir des modèles de réussite. C’est ce que recommande d’ailleurs l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (Unesco) qui veut jouer sa partition pour voir émerger ‘’une nouvelle génération numérique’’.
Elysée NOBIME
Site www.lafriqueenmarche.info du 13 janvier 2022 No 050

Bénédicte DEGBEY

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.