L’universitaire répétait à qui voulait l’entendre qu’il n’avait aucun différend personnel avec le chef de l’Etat : « Notre désaccord avec le président Talon est d’abord éthique et morale ; nous ne sommes pas des ennemis.». Dans son programme les 5R, il avait placé en tête de ses priorités, la fin de la tension socio-politique. Ironie du destin, Joël Aïvo sera lui-même arrêté quatre jours après l’élection et emprisonné pour des charges que ses avocats qualifient de floues.
Du fond de leurs cellules, le professeur Frédéric Joël Aïvo, sa « sœur » Réckya Madougou, et chacun des autres acteurs politiques incarcérés depuis le lancement du processus ayant conduit à la réélection du président Talon, s’inquiètent de savoir à quel moment prendront fin leurs déboires. La situation politique, déjà électrique depuis le lancement en 2017 des réformes institutionnelles et politiques, s’est considérablement dégradée à l’occasion du processus électoral pour la présidentielle de 2021. Un processus fortement chahuté par une grande partie des forces de l’opposition. Les autorités judiciaires ne communiquent pas sur le nombre d’arrestations, l’opposition affirme que des centaines d’acteurs de la frange dite « radicale » des adversaires politiques du régime sont actuellement en prison et le reste en exile ou vivant dans la peur d’une probable arrestation. Ils sont accusés, soit d’atteinte à la sûreté de l’Etat, soit de blanchiment d’argent, ou carrément de terrorisme. Une accusation qui inquiète jusqu’aux Etats-Unis et en France.
Un pouvoir aux mains de fer
Depuis, les appels à l’apaisement et au dialogue se multiplient et se heurtent invariablement au refus du pouvoir en place. « On ne peut pas dialoguer avec des terroristes », avait déclaré en conférence de presse le porte-parole du gouvernement, le jour-même de l’arrestation du professeur Aïvo. Les appels à la retenue des chancelleries étrangères n’ont pas plus d’écho de la part du pouvoir, déterminé à aller au bout de la répression de ceux qu’il considère comme des terroristes. Le président de la République promet même le plein tarif aux mis en cause : « Je n’envisage pas à nouveau de fermer les yeux sur ce qui s’est passé ou bien de gracier ou d’amnistier parce que ça devient récurrent. », a-t-il asséné le 30 avril dernier sur le plateau de RFI et de France 24.
Apaiser et rassembler
Une posture en porte-à-faux avec celle que prônait le professeur Aïvo face à la spirale de crise politique que vit le Bénin depuis plusieurs années. Car s’il était connu (et longtemps raillé par les partisans du pouvoir) comme le candidat de la « restauration de la démocratie », l’expert constitutionnaliste des Nations unies n’en a pas moins placé l’apaisement de la situation socio-politique et le renforcement de la cohésion nationale en tête de ses priorités. C’est le premier des 5R (les 5 axes) de son projet intitulé « Faire renaître le Bénin que nous aimons ». Joël Aïvo était convaincu que : « la première mission d’un Président de la République est de transmettre de la sérénité ; il doit gouverner en étant assis. ». L’universitaire répétait à qui voulait l’entendre qu’il n’avait aucun différend personnel avec le chef de l’Etat : « Notre désaccord avec le président Talon est d’abord éthique et morale ; nous ne sommes tout simplement pas d’accord avec ses actes, avec sa façon de gouverner le pays. Pour autant, cela ne fait pas de nous des ennemis, nous sommes des frères de ce même pays. », peut-on entendre sur plusieurs de ses vidéos : « Voilà pourquoi, dès le lendemain de notre investiture, nous prendrons une série de mesures pour apaiser l’atmosphère socio-politique et rassembler les béninois », a-t-il répété lors des étapes du ‘’Dialogue Itinérant’’. Parmi ces mesures, le candidat investi par le Front pour la restauration de la démocratie (FRD) envisageait la libération des prisonniers politiques, le retour au pays des exilés et des procès équitables pour toutes les personnes poursuivies par la justice. Un projet qui, on l’imagine prend certainement encore plus de valeur depuis son incarcération.
Par Christian AFFAME.
Journal L’Afrique en Marche du lundi 07 juin 2021.