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Bénin-route Cotonou Ouidah/ impact environnemental : Entre atouts pour le tourisme et menace pour la pêche

Bénin-route Cotonou Ouidah/ impact environnemental : Entre atouts pour le tourisme et menace pour la pêche

(Enquête avec le soutien de Rejopra)
Le gouvernement du Bénin a autorisé depuis le 5 février 2020, la réalisation de la phase 2 du projet « Route des pêches.». C’est un projet long de 35,80 kilomètres qui part de Adounko à Ouidah, dans le département de l’Atlantique. L’ouvrage qui sera mis en place est appelé à métamorphoser positivement la façade maritime du Bénin et permettra de faire le trajet Cotonou-Ouidah en 35 minutes contre deux heures sur la principale voie. Mais des menaces existent et impactent les communautés côtières et de pêche.

La fin de la première phase de la construction de cette route des pêches
Comme le montre la photo, c’est à ce niveau, village Hounnoudji, que s’achève la Phase 1 de la voie bitumée, longue de 13,20 km, allant du ‘’Carrefour Cen-Sad’’ jusqu’à hauteur de la cité d’Adounko. Cette étape laisse place à la deuxième phase dont les travaux techniques qui sont terminés et la mise en place physique de l’ouvrage qui est en cours. L’entreprise en charge des travaux, ‘’Sogea-Satom’’, s’est installée au début et à la fin du trajet de cette deuxième phase de la construction de cette route de pêches. Derrière l’affiche signalétique des travaux, se trouvent les bords du lac Adounko, qui a pris le nom de la localité qui l’abrite. L’ouvrage se situe entre le lac Adounko qui change de nom dans les agglomérations traversées et la mer. Cette partie du lac est utilisée par les riverains dans la pêche et dans le maraîchage. Et voici que la route a opéré un clivage forcé entre le lac et le jardin maraîcher. Les acteurs du jardin maraîcher ont dû se servir des tuyaux de raccordement pour faire passer l’eau du lac en dessous de l’ancienne voie vers le site de maraîchage.
« Je ne m’attendais à ce qu’ils lancent de sitôt, cette deuxième phase de la construction de la voie. Je pense ainsi à mon investissement. Depuis que j’ai eu la nouvelle, abasourdi, je le suis un tout petit peu. Mais j’ai déjà d’autres alternatives pour gérer la transition jusqu’au dédommagement, comme changer de site, travailler avec les experts…», a fait savoir Arnaud Adjagbénon, responsable d’une partie des productions du site de maraîchage de Hounnoudji.
A Togbin, environ sept kilomètres du ‘’Carréfour Cen-Sad ‘’, où traverse déjà la voie bitumée, le projet de dédommagement est déjà prévu, mais les riverains attendent son démarrage. Charles Tayo, propriétaire terrien et entrepreneur culturel dans la localité déclare: « A la réunion avec les autorités des ministères concernés cette année 2021, ce sous-projet de dédommagement a été abordé, et nous attendons son effectivité. Mais après tout, une infrastructure routière vient développer une localité dont la nôtre. L’Etat devrait penser à ceux qui ont perdu beaucoup de biens lors de la construction de cette voie.». André Amoussou, maraîcher dans la localité, a dû associer une autre activité pour subvenir à ses besoins: « Je suis devenu conducteur de taxi-moto par la force des choses, mes activités maraîchères étant réduites à cause de la construction de l’infrastructure routière sur une partie du domaine que j’occupais.».
A Hiyo, un village situé à environ 17 kilomètres du ‘’Carrefour Cen-Sad’’, de même qu’à Avlékété plage, situé à une vingtaine de kilomètres du même carrefour, les populations attendent les rencontres avec les représentants du gouvernement pour être situées : « Nous n’avons encore eu aucune rencontre du genre, nous attendons certainement notre tour pour les jours à venir.», a laissé entendre Lucien A., le chef de village d’Avlékété.
Un atout considérable de développement
La construction de cette deuxième phase de la voie a démarré. Selon Dine Makandjou, ingénieur des travaux publics, « il faut remblayer certains abords de ce lac pour faire évoluer les travaux, et ce sera ainsi tout au long du projet pour la mise en place de l’infrastructure. Les dalots nécessaires par endroit seront construits. », a-t-il lancé.
Cette deuxième phase du projet a un linéaire de « 35,80 km et les travaux prennent en compte les bretelles Adounko-Cococodji, Avlékété-Pahou et Porte du non-retour-Route nationale inter-Etats Ouidah-Hillacondji, d’une longueur cumulée de 17,95 km, soit au total, 53,75 km de voies à bitumer, assorties d’ouvrages de franchissement », a précisé le secrétaire général du gouvernement, Edouard Ouin-Ouro.
Pour le gouvernement, cette nouvelle configuration embrasse et impacte plus que le projet dans son tracé originel. Ce projet intégré s’incruste bien dans les autres chantiers touristiques de la zone et leur donne plus d’ampleur mettant davantage en valeur les localités traversées et leurs offres touristiques. Ainsi, le gouvernement compte aussi faire un véritable coup de pouce au regain d’activités économiques dans la zone.
L’objectif visé par ce projet d’envergure est le renforcement de l’offre touristique des différentes localités prises en compte. Il faut rappeler qu’en novembre 2019, la Banque KFW-Ipex et le Bénin ont signé un protocole d’entente dans le cadre du financement de la construction de la phase 2 de la “Route des Pêches”.
Ouidah en attente de retrouver ses forces…
« Bientôt, Ouidah va retrouver sa jeunesse qui l’a abandonné au profit d’autres villes. », a fait remarquer Alphonse Kpatènon, conseiller local à Amouacodji, situé à un kilomètre environ de la Porte du Non-Retour à Ouidah, en venant de Cotonou. « Ce projet est bien bienvenu et ne fera que développer la ville. Ce que nous n’avons pas vu au temps de nos aïeux, c’est ce qui se manifeste aujourd’hui et demain plus encore. Je remercie beaucoup les précurseurs de cette initiative salvatrice et gigantesque pour la Nation. », a-t-il ajouté mettant l’accent sur le caractère attrayant de l’infrastructure en cours de réalisation qui selon lui va d’abord impacter la vie des jeunes qui vivent dans cette ville historique d’une part, et celle des jeunes qui l’ont abandonné pour d’autres destinations. L’environnementaliste Franck Sossouhounto croit aussi que : « la destination Ouidah sera de nouveau prisée dans les échanges de toutes sortes, en l’occurrence avec l’achèvement des travaux de réhabilitation des sites touristiques et historiques qu’abrite la ville de Ouidah. ».
Les mesures d’aménagement spécifique
La première phase du Projet ‘’Route des Pêches’’ a été confiée à l’entreprise ‘’Adéoti Sarl’’. Elle est longue de 13,20 km (Carrefour Cen-Sad jusqu’à hauteur de la cité d’Adounko) pour un coût global de plus de 26 milliards F CFA HT.

Adounko, une cité aux atouts touristiques énormes
Le financement de cette Phase 1 est assuré en grande partie par la Banque ouest africaine de développement (BOAD). Quant à la Phase 2 du projet, elle sera réalisée à plus de 134 milliards F CFA. Les infrastructures qui forment cette deuxième phase comportent l’érection de neuf ponts en béton, des ouvrages hydrauliques, un poste de péage et de pesage de cinq voies d’entrée et cinq voies de sortie pour répondre parfaitement aux sollicitations des heures de pointe.
Impacts sur le milieu traversé et l’infrastructure en cours d’implantation
Selon l’environnementaliste Franck Sossouhounto, il y a deux niveaux de conséquences environnementales qui sont : « Les impacts primaires résultant directement de la réalisation et du fonctionnement des ouvrages et affectant physiquement le patrimoine naturel et humain formant l’environnement des zones concernées et les impacts secondaires résultant des impacts primaires. ». Ils se manifestent sur le milieu naturel par la réduction du capital environnemental par destruction, prélèvement ou dégradation des cinq ressources principales : sol, eau, air, flore, faune. Sur le plan humain, ces impacts sont ceux qui affecteront les conditions d’existence des populations sur trois niveaux : activités économiques, activités socio-culturelles et qualité de vie. Les impacts du projet routier sur le milieu naturel, en particulier sur l’eau concerne la pollution et la perturbation des eaux souterraines et de surfaces qu’utilisent les populations pendant la réalisation et l’exploitation du projet.
Sont également concernés, la modification du régime d’écoulement des eaux de surfaces et souterraine à cause des travaux de terrassement, et de remblaiement, le rabattement des nappes par pompage qui conduit à un abaissement du niveau des nappes phréatiques ainsi qu’une modification du régime d’écoulement des eaux souterraines. A terme, au niveau des endroits marécageux, les espèces halieutiques vont disparaitre, leurs lieux de refuge tels que les mangroves qui sont sur l’emprise des travaux. Yves, un riverain combinant le maraîchage à la pêche artisanale, gère une situation multiple : « Ma résidence n’est pas du tout loin des signes visibles topographiques pour la réalisation de l’infrastructure routière, on attend l’ouverture réelle de la voie pour s’en convaincre. L’autre chose, le site que j’exploite pour le maraîchage est sur le couloir des travaux, il va falloir chercher un autre. Une partie des mangroves, endroit prisé pour mes activités de pêche sera détruite. Je suis dans une situation inconfortable. Les gens parlent de dédommagement : comment cela va se passer pour des gens comme moi ? », s’est-il interrogé d’un air déconcertant.
Alphonse Kpatènon, conseiller local à Amouacodji, reconnait que : « Certes, une partie de la pêche sera détruite. La pêche elle-même va régresser dans la zone traversée par l’infrastructure ; nous pécheurs allons désormais faire beaucoup d’efforts, que ça soit au niveau de la pêche continentale ou du retour de la pêche maritime. C’est un projet du Plan d’action du gouvernement béninois pour le développement de la ville.».
L’implantation d’un projet routier entraîne des perturbations au niveau de la zone traversée par le projet, ces perturbations qui sont essentiellement dues aux travaux de chantier (bruit, vibration, poussière, insécurité des piétons, boue…), ainsi que pendant la phase d’exploitation (augmentation de risque d’accidents) peuvent provoquer une modification des habitudes et la régression totale des espèces halieutiques. Romain Adjaho, pêcheur au niveau d’Avlékété consent : « Je pratique la pêche sur les plans d’eau et en mer. La construction de la route en cours est une belle initiative, car au bout, elle va développer les localités desservies. Seulement que la pêche va disparaitre dans les emprises traversées, de même que les habitations implantées initialement sur le domaine identifié.». L’urbaniste Grégoire Gbètoho a mis l’accent sur l’affluence humaine qui prendra place tout au long de cette infrastructure qui traverse une zone marécageuse.

L’embarcadère de Adounko pour joindre Cocotomey, Cococodji et Pahou 
Le réseau routier connaît et connaîtra un développement dont l’impact sur le paysage et l’environnement s’accentuera sans cesse. La prise en charge de cette préoccupation passe obligatoirement par la maîtrise des nuisances et des impacts de cette infrastructure. Les impacts de la phase de réalisation restent temporaires et disparaissent avec son levé, mais les impacts dus à l’utilisation de la route (pollution atmosphérique, bruit, déboisement…) doivent être compensés par le suivit d’un certain nombre de mesures d’atténuation, dont le dédommagement des riverains qui est une préoccupation pour le gouvernement.
Par Marc GBAGUIDI
Enquête réalisée avec le soutien du Réseau des Journalistes pour une Pêche Responsable en Afrique (REJOPRA) 

Bénédicte DEGBEY

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