Bénin/Gouvernance politique du Bénin : Joël Aïvo et la démocratie, une vieille histoire.

A la suite de notre article la semaine dernière sur son projet d’apaisement et de rassemblement des Béninois, nous vous proposons cette semaine un zoom sur les convictions démocratiques du professeur Aïvo. L’opposant au régime de Patrice Talon, Joël Aïvo qui languit depuis le 16 avril dernier au fond d’une cellule de la prison civile de Cotonou s’était révélé au Béninois en 2006 en tant que porte-parole d’Adrien Houngbédji. Il a fait de la restauration de la démocratie le pilier n°2 de son projet de société.
Ceux qui suivent Frédéric Aïvo depuis son irruption sur la scène publique en 2006 n’ont pas été vraiment surpris de le voir dans ce combat. En 2006, lorsqu’il « entrait » au PRD en tant que directeur de cabinet et porte-parole de Me Adrien Houngbédji, presque toute la classe politique béninoise (aussi bien ceux qui avaient soutenu jusqu’au bout le régime défunt de Mathieu Kérékou que ceux qui l’ont combattu) s’agglutinait autour du nouveau président, Thomas Boni Yayi, élu grâce à la puissance financière d’un certain Patrice Talon. « Le roi du coton », habile ‘’marionnettiste’’ de la politique nationale, était déjà considéré à l’époque comme le véritable patron du gouvernement qui venait de s’installer. L’attitude du « gouvernement ventilateur » de Boni Yayi (tacle adressé à Boni Yayi en septembre 2006 par Adrien Houngbédji, sans doute sur les conseils son porte-parole, ndlr) vis-à-vis des autres institutions de la République inquiétait déjà le PRD et le jeune directeur de cabinet de son président.
La mort de la démocratie
Ce n’est pas un hasard que 15 années plus tard, alors que l’ancien faiseur de roi devenu président, tentait d’obtenir par tous les moyens un second mandat, Frédéric Joël Aïvo ait décidé de descendre en personne dans l’arène et de battre campagne pendant presque deux ans sur le thème de la restauration de la démocratie. Il faut dire que ce ne sont pas les raisons de s’inquiéter d’un glissement vers un régime autoritaire qui ont manqué à cet engagement. De nombreuses organisations de la société civile et plusieurs organismes supranationales ont en effet dénoncé depuis plusieurs années une érosion spectaculaire des droits de l’’homme et des libertés démocratiques et par la même occasion, un détricotage en règle de la structure démocratique issue de la conférence nationale de 1990. Le pays est désormais inscrit sur la tristement célèbre liste des Etats prédateurs de la liberté de presse, des libertés syndicales qui ont été réduites à leur plus simple expression, tandis que la justice, désormais sous le contrôle de l’exécutif (selon plusieurs décisions de la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples) n’hésite plus à traquer les adversaires du régime.
A tout cela s’ajoute l’inféodation des autres institutions de contre-pouvoir. Mais selon de nombreux spécialistes de la gouvernance démocratique, le couronnement de cette « mise à mort programmée de la démocratie béninoise » a été l’exclusion contre vents et marées de toute forme l’opposition de l’Assemblée nationale en 2019 et la modification en procédure d’urgence de la Constitution.
Mission de sauvetage
Les protestations de l’ultime partie de la société civile béninoise encore audible ou celles de la communauté internationale n’y feront rien, le président Talon et ses alliés semblaient décidés à aller au bout de cette entreprise. Mais le professeur et la structure légère qu’il a érigée autour de son projet semblaient tout aussi décidés à « ne pas rester spectateurs de leur destin ». D’ailleurs, le spécialiste du constitutionnalisme dans les régimes politiques, n’aurait probablement jamais acquis sa renommée sans la démocratie sur laquelle il a bâti toute sa carrière professionnelle. De là à imaginer que sans la démocratie, Joël Aïvo n’est plus rien, il y a un pas que beaucoup de ses adversaires n’hésitent pas à franchir. Et à ceux qui lui suggéraient d’attendre 2026 pour aller à la conquête du pouvoir, le professeur Aïvo répondait invariablement que 2021 était le délai d’expiration de la démocratie béninoise, tel que l’ont planifié les acteurs du régime en place. « Je voudrais être bien clair, prévenait-il en janvier dernier sur le plateau de Golfe Télévision, que chacun garde à l’esprit que si nous laissons passer ce qui se prépare pour l’élection présidentielle de 2021 (une nouvelle élection exclusive, ndlr), nous pouvons dire adieu à la démocratie béninoise telle que nous l’avons connue, et qui a permis que Patrice Talon soit élu en 2016 ». Mieux qu’une simple ambition présidentielle, Joël Aïvo a donc toujours considéré sa candidature comme une profession de foi, une mission de sauvetage de la démocratie.
Pilier n°2 de son programme
Ce positionnement, Joël Aïvo et ses partisans l’ont défendu becs et ongles, malgré les critiques parfois railleuses qu’ils pouvaient recevoir de la frange dit « développementaliste » de la classe politique béninoise, celle qui soutient le pouvoir en place. « Ils confondent démocratie et démagogie. Le frustré parce qu’il n’en tire pas profit, trouve que les réformes n’ont contribué qu’à déstructurer, et que les acteurs desdites réformes doivent présenter des excuses au peuple. Où allons-nous ? », s’était agacé en octobre dernier, le professeur Rock David Gnanhoui, dans une allusion à peine voilée à son prédécesseur à la tête de la Faculté de droit de l’Université d’Abomey-Calavi. Lors de son ‘’Dialogue Itinérant’’, le professeur Joël Aïvo avait en effet beaucoup insisté sur la nécessité de restaurer la démocratie et de sauver l’héritage de la conférence nationale. « Je voudrais demander au président de la République, au président de l’Assemblée nationale, au président de la Cour constitutionnelle et à tous les soutiens du pouvoir : n’ayez pas peur de la démocratie et du pluralisme, car vous en aurez besoin vous-mêmes demain pour vous défendre et pouvoir vous exprimer.», avait-il lancé le 7 novembre dernier à Ekpè (Sèmè-Podji). Le candidat du FRD avait fait du rétablissement de la démocratie le deuxième chantier le plus urgent de son programme.
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Une priorité à laquelle il s’accrochait encore avec une foi inébranlable en dépit du retoquage de sa candidature et de la confirmation d’une élection qu’il jugeait une fois de plus exclusive : « Je crois profondément à la démocratie », répondait-il dans les colonnes du magazine Jeune Afrique, quelques jours avant son arrestation, quand on lui demanda pourquoi il avait poursuivi ses rencontres avec ses militants alors qu’il était établi qu’il ne participerait pas au scrutin.
Collaboration extérieure Placide Bruno Hounmènou.
Journal L’Afrique en Marche du lundi 14 juin 2021