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Bénin/changements climatiques et dégradation de l’environnement : Quand les pêcheurs du lac Ahémé attendent les poissons

Bénin/changements climatiques et dégradation de l’environnement : Quand les pêcheurs du lac Ahémé attendent les poissons
Dame Solange, mareyeuse depuis 15 ans dans les environs du lac Ahémé (au Bénin), constate de jour en jour, la baisse drastique de son stock de poissons passé de quadruple au simple. Pourtant, ce même lac qui connait une baisse drastique en poissons était deux décennies à peine avant, un grand pourvoyeur de produits halieutiques. Pêcheurs en témoins oculaires, experts en questions de pêche et autorités gouvernementales pointent du doigt les changements climatiques. Face à cette situation, tout ce beau monde propose des solutions.
Marie-Louise Félicité BIDIAS
De Segbohouè, un arrondissement de la commune de Kpomassè dans le département de l’Atlantique (Bénin), situé à 56 km de Cotonou, la fine pluie de ce mercredi n’empêche pas ce conducteur de taxi moto, d’emprunter la voie de terre conduisant à Ouèdèmè-Pédah, localité de la commune de Comè dans le département du Mono. Cette berge qui longe le lac Ahémé, conduit à la maison de dame Solange. La quarantaine, mère de quatre enfants, elle est mareyeuse depuis près de 15 ans. Chaque jour, elle se rend avec sa pirogue sur le lac Ahémé, acheter du poisson directement chez les pêcheurs. Partie depuis 6h ce matin, elle se plaint de son maigre stock, obtenu après avoir fait trois heures. Son stock du jour est constitué de 12 petits paniers de minuscules sardines qu’elle brandit tristement. S’exprimant en pedah (une des langues parlées de la localité), elle confesse avec mélancolie : « Je suis fatiguée. Auparavant, je trouvais ce nombre multiplié par trois et même au-delà. Les poissons étaient abondants et bien gros. Actuellement, l’argent que je gagne est très insuffisant.Je n’ai pas d’autres activités, c’est ce que j’ai toujours fait.». Debout en face de son fourneau, elle fume ses poissons, insouciante de toute la fumée qui l’environne. Elle déclare encore avec consternation : « Je peine vraiment à revendre aujourd’hui mes poissons dans les différents marchés de la zone. Les prix de l’huile de palme, d’arachide et des fagots de bois ont pratiquement doublé. Je n’arrive plus à faire des bénéfices.».

Les pêcheurs partent très tôt et reviennent de plus en plus bredouilles du lac Ahémé.
Assis non loin, son époux, Robert Tomenon, pêcheur depuis 50 ans renchérit dans la même langue pedah : « La forte pluie de cette nuit, m’a empêchée de sortir. Les conditions météorologiques d’alors ont complètement changé.». 70 ans révolus, Robert Tomenon ne comprend pas ce qui se passe avec le lac Ahémé : « Il n’est plus aussi profond qu’auparavant, et ne permet même plus aux poissons de faire éclore leurs œufs.». Un autre pêcheur raccordant ses filets, déclare : « Les changements sont tels que nous ne trouvons plus de poissons. Depuis plus d’un mois, j’ai renoncé à aller pêcher.».

Le lac Ahémé depuis la berge de Ouèdèmè
Situé au sud-ouest du Bénin, entre l’océan Atlantique et le fleuve Couffo, le lac Ahémé, cette cuvette autrefois très poissonneuse, qui faisait jadis la fierté de ses riverains, connait une baisse drastique de sa production halieutique. Son état problématique explique la détresse des pêcheurs, mareyeuses, revendeuses et transformatrices de poissons qui y tiraient l’essentiel de leurs revenus. Le lac qui s’étend sur près de 87 km2 et avait trois mètres de profondeur, rassemble les populations riveraines des communes de Grand-Popo, Bopa, Kpomassè, Comè et Ouidah.
Changements climatiques pour le grand malheur
Le rapport sur la valorisation et la gestion des ressources du lac Ahémé (2016) affirme que les changements climatiques menacent la pêche entre autres, à cause de la hausse des températures de l’eau, de l’élévation du niveau de la mer, des modifications de la salinité, de la diminution de la pluviosité et de l’abondance des stocks de poissons.
Les effets de cette avancée sont aussi très perceptibles dans la commune de Grand-Popo (67km de Cotonou) dans le département du Mono, où des villages des pêcheurs entiers ont déjà disparu.
Fabrice Ahomlanto, chef division post-capture à la Direction de la pêche, du ministère de l’Agriculture, de l’élevage et de la pêche (Maep) du Bénin déclare : « On observe soit la chute du niveau de l’eau dans certains plans d’eaux ou carrément l’excès d’eau qui empêche la reproduction. Ce qui détruit les larves, entrainant les inondations et le ruissèlement vers les zones non propices. Ce qui fait qu’il ne peut y avoir de production dans le lac Ahémé.».
Pour le chef division post-capture, c’est une quantité d’eau de précipitations qui favorise la production. Par contre, quand le volume d’eau est élevé : «Les plans d’eaux sont certes comblés, mais ils renferment beaucoup de déchets, comme les limons qui sont toxiques, entrainant des gaz polluants. Et la mort de beaucoup de poissons ».

Les changements climatiques imposent de nouveaux comportements aux pêcheurs.
Fabrice Dossou, président des pêcheurs du Littoral et du port de pêche artisanale de Cotonou, précise aussi, qu’à cause de la rareté des poissons, les pêcheurs sont obligés d’aller beaucoup plus en haute mer. Cependant, les attentes ne sont pas tellement comblées.
Cette baisse de rendements dans les localités voisines du lac Ahémé entraîne la réduction des revenus des pêcheurs, l’aggravation de la disette et des migrations importantes. Et pourtant le secteur de la pêche contribue à hauteur de 3% au Produit intérieur brut (PIB) et emploie, directement et indirectement, environ 300.000 personnes selon les statistiques du ministère de l’Agriculture.
Une avancée : le dragage du lac Ahémé sans oublier…
Le lac Ahémé et ses chenaux sont confrontés à un véritable problème de comblement et d’envasement. Au niveau de Djondji-Houncloun, la zone de transit entre la mer et les eaux continentales pour les espèces halieutiques, le niveau de comblement a atteint un point critique avec des bancs de sable, obstruant le passage notamment des poissons.
Depuis janvier 2022, le gouvernement a rendu effectif, le projet de réhabilitation du lac Ahémé et ses chenaux. Les travaux de dragage du carrefour critique de Djondji-Houncloun dans la zone du Lac Ahémé, ont débuté dans l’arrondissement de Djegbadji dans la commune de Ouidah. La réhabilitation de ces plans d’eau est prévue pour durer 12 mois pour un montant de plus de 21 milliards de F. CFA financé par le budget national.
Pour José Tonato, actuel ministre du Cadre de vie, cette phase va permettre de réhabiliter environ 208 hectares sur le plan d’eau avec une profondeur maximale de six mètres. Ainsi, les activités de pêche pourront reprendre progressivement et induire un bien-être économique et social aux populations du lac Ahémé.
Le président du Comité des pêcheurs de l’arrondissement d’Ouèdèmè-Pedah, Achille Kakpo, affirme que le dragage est une grande avancée. Son souhait, par ailleurs est que cette opération de dragage devienne aussi une réalité au niveau des autres lacs de la partie méridionale du Bénin.
Au-delà du dragage, les populations de pêcheurs saluent à juste titre, l’interdiction par le gouvernement béninois des ‘’acadjas’’ (parcs de branches d’arbres et d’arbustes, coupés et enfouis à des profondeurs) sur le lac Ahémé. L’opération d’assainissement des plans d’eau a été rendue possible par la décision du conseil des ministres en date du 11 janvier 2017.
L’opération a ainsi permis d’enlever tous les engins prohibés en l’occurrence les ‘’acadjas’’ qui encombraient le lac Ahémé et ses chenaux. Au Bénin, les pratiques prohibées de pêches sont punies par la loi cadre nº2014-19 du 7 août 2014 relative à la pêche et à l’aquaculture.  Au regard des dividendes, les populations de pêcheurs qui ont rouspété dans un premier temps suite à l’interdiction de ces ‘’acadjas’’ applaudissent désormais.
…les solutions de rechange
Au titre des autres solutions proposées pour lutter contre les changements climatiques, Fabrice Ahomlanto, estime qu’il faut déjà que les femmes mareyeuses et transformatrices de poissons, soient conscientes qu’elles doivent adopter des comportements écologiques, comme éviter de couper les mangroves. « Cela détruit les habitats des géniteurs et des zones de reproduction.», ajoute-t-il. Il souhaite que les sensibilisations se poursuivent.
En outre, le chef post-capture estime qu’il faut les aider à créer d’activités alternatives en complément. Les communautés de pêcheurs doivent développer de nouvelles activités génératrices de revenus afin d’augmenter leur capacité d’adaptation. L’aquaculture et la production maraichère sont adéquates et facilement envisageables, surtout si on se met ensemble. Comme pour le cas des groupements de femmes d’Adounko, un village d’Avlékété (commune de Ouidah dans l’Atlantique), spécialisés dans le maraichage (tomate, piment et pastèque).

Cette mareyeuse par exemple rencontrée non loin du lac Ahémé constate et déplore la baisse des ressources halieutiques.
Achille Kakpo, président des pêcheurs de l’arrondissement de Ouèdèmè-Péda, propose l’élevage et les activités champêtres : « Nos terres sont mortes, elles ne produisent plus. Il nous faut des moyens financiers pour louer d’autres terres pour cultiver.». A cet effet, il lance un appel à l’Etat et aux Partenaires techniques et financiers pour les aider.
Pour éviter de se perdre dans l’immensité de l’océan, certains pêcheurs ont aujourd’hui recours au GPS. Les services de vulgarisation-conseil agricole peuvent aussi améliorer l’accès des communautés de pêcheurs à l’information relative aux prévisions agro-météorologiques et aux techniques innovantes de pêche. Fabrice Dossou, pêcheur précise que le GPS les aide à ne pas se perdre en mer. Cependant, il y a un handicap par rapport au recours à cette approche technologique, car plusieurs parmi eux sont analphabètes.
Influences environnementales, changements climatiques et production halieutique sont intimement liés. Il importe d’impulser en définitive une dynamique sociologique de la part des pêcheurs eux-mêmes pour mieux préserver leur cadre de vie.
Aussi, faut-il des approches techniques et technologiques de la part de l’Etat pour relever le défi de la baisse halieutique drastique du lac Ahémé.
 
Site www.lafriqueenmarche.info du 16 juin 2022 No 207
 

Bénédicte DEGBEY

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