Bénin/ Baisse du taux de participation aux législatives de 2019 : Les raisons d’une situation inédite

( Une contribution de Charles Bonaventure HOUNGUE,
Historien chercheur et analyste politique)
La présidentielle de mars 2016 a consacré la victoire du candidat Talon et l’installation du régime de la « Rupture ».Ce dernier a eu le privilège d’organiser trois élections en cinq ans : les législatives de 2019,les municipales de 2020 et la présidentielle de 2021.Par rapport aux législatives de 2015 où le taux de participation était de 66%, en 2019, on a noté une baisse considérable de ce taux qui est descendu à 27,12%. C’est la première fois depuis 1991 qu’il a atteint un niveau aussi bas.Au regard des chiffres, 30% d’électeurs ont boycotté le scrutin par rapport à 2015. L’engouement manifesté par les populations en pareilles circonstances a disparu.
Il convient d’identifier les raisons qui justifient cette situation inédite.
L’impact des réformes politiques.
Le chantre de la « Rupture » a annoncé durant sa campagne, d’importantes réformes en vue d’assainir le paysage politique du pays.Il s’agit entre autres de constituer de grands blocs politiques, mettre fin au clientélisme et au marchandage.Dans cette optique, en 2018, la charte des partis politiques et le code électoral furent amendés.A l’application des textes,des difficultés apparurent.Seuls deux partis de la mouvance,l’Union Progressiste (UP ) et le Bloc Républicain (BR) ont obtenu, grâce à la bénédiction du ministère de l’Intérieur et de la Cena, le certificat de conformité inventé par la Cour constitutionnelle, puis le récépissé attestant leur existence légale.Dès lors les autres forces,le PRD,l’USL,les FCBE,la RB,RE,les FCDB sont restés sur le quai.Elles ont été visiblement écartées de la course au Parlement.Les appels des exclus et de la société civile à l’organisation d’élections inclusives sont tombés dans des oreilles de sourd.Le scrutin s’est déroulé dans un climat marqué par un sentiment de frustration.Une partie de l’électorat a donc choisi de ne pas honorer le rendez-vous.
L’absence de grands acteurs sur la scène politique.
Au moment où s’organisaient les législatives, plusieurs acteurs politiques ont été contraints à l’exil à cause des démêlés avec la justice : Sébastien Ajavon, Komi Koutché Valentin Djènontin, Léady Soglo, Léonce Houngbadji… l’absence de ces personnages sur le territoire national a sonné le glas de leurs formations politiques qui sont tombées en hibernation.Leurs partisans demeurés fidèles, désemparés,se sont certainement résignés, car ils ne se retrouvaient pas dans les choix à eux proposés.
L’appel au boycott.
En réaction à leur exclusion des législatives,les acteurs de l’opposition, présents sur territoire national ou en exil, ont appelé le peuple au boycott.Ils ont investi les médias et les réseaux sociaux tenant des discours démobilisateurs. Sensibles aux mots d’ordre des « martyrs », nombre d’électeurs n’ont pas voulu accomplir leur devoir civique. Ils ont royalement ignoré l’événement.
Les mesures ayant accru le mécontentement social.
Dans le programme d’action du gouvernement (PAG) figure le projet asphaltage qui prend en compte l’aménagement des voies urbaines.Sa mise en route nécessitait la libération de l’espace public par les populations qui s’y étaient installées depuis des lustres pour effectuer leurs activités génératrices de revenus.Il faut remarquer qu’aucun plan de réinstallation n’a été préalablement prévu.Malgré l’ultimatum du gouvernement, beaucoup d’artisans et de commerçants n’ont pas cru devoir s’exécuter.Ils ont été déguerpis avec une violence rare.Boutiques et ateliers furent démolis par de gros engins mobilisés pour la circonstance.Les conséquences du déguerpissement étaient demeurées vivaces dans la mémoire collective : incapacité de remboursement des crédits et de paiement des frais d’écolage, familles entières privées de la pitance journalière, sans oublier les cas de suicide…
Par ailleurs,la liquidation de certaines structures ( Sonapra, Bénin Marina Hôtel…) a entraîné des ruptures de contrat.Des milliers de travailleurs se sont retrouvés dans la rue.
Les citoyens victimes du déguerpissement ou ceux qui ont perdu leurs emplois considéraient le régime du nouveau départ comme le principal responsable de leurs malheurs.Ces citoyens meurtris dans leur âme ont exprimé leur mécontentement par un rejet du politique en boudant l’échéance électorale.
Le climat de psychose instauré depuis la veille du scrutin.
Des actes de violence ont été perpétrés la veille des élections.En effet, l’exclusion d’une partie de la classe politique a servi de prétexte à la révolte dans certaines régions du pays.Le cas de Savè et Tchaourou était atypique.Des individus ont érigé des des barricades sur la route inter-Etats Cotonou-Malanville, empêchant toute circulation.Les usagers de la route qui tentaient de forcer le passage avec leur véhicule subissaient des jets de projectiles.Des dégâts matériels ont été enregistrés.Ces actes ajoutés au vandalisme de résidences privées et du matériel de vote ,ont créé un climat de psychose qui a perduré jusqu’au lendemain des élections.Apeurés, beaucoup de citoyens se sont enfermés chez eux pour échapper à d’éventuelles réprésailles.
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La chute brutale du taux de participation aux élections législatives de 2019 apparaît comme un rejet de la gouvernance mise en œuvre au lendemain de la présidentielle de 2016.C’est la preuve que la démocratie béninoise est en crise.La décrispation de la vie sociopolitique passe par la remise en cause des lois crisogènes,le retour des exilés et la libération des détenus politiques.
Journal L’Afrique en Marche du 25 juin 2021