Bénin/ Adrien Houngbédji : un prototype de l’opportunisme politique ? (Une analyse de Charles Bonaventure Hounguè, historien et analyste politique)
La nouvelle de la démission Joseph Djogbénou précédemment président de la Cour constitutionnelle du Bénin s’est rapidement répandue dans l’après midi du 12 juillet 2022. Le secrétaire général Gilles Badet, à travers un communiqué radio télévisé précisait qu’il a démissionné aussi bien du poste de conseiller que de président de l’institution. La surprise était d’autant plus grande que son mandat n’était pas à terme. Au-delà des motivations réelles du régime de la « Rupture » qui serait en train de dérouler un plan préétabli à la veille des législatives, la rumeur prédit son remplacement par maître Adrien Houngbédji. Cette situation offre l’occasion de décrypter quelque peu le parcours politique du leader du Parti du renouveau démocratique (PRD).
Adrien Houngbédji, juriste de formation,est rentré d’exil à la faveur de la Conférence des forces vives de février 1990. En créant le Parti du renouveau démocratique ( PRD), il s’était habilement présenté comme le gardien et le continuateur des œuvres de feu Sourou Migan Apithy, fondateur du Parti républicain du dahomey et avait bénéficié du soutien d’anciens compagnons de Apithy. Son fief englobait à un moment donné ,les actuels départements de l’Ouémé et du Plateau. Il ne pouvait en être autrement dans la mesure où depuis l’éclatement de l’Union progressiste dahomeenne(UPD),les principaux leaders ont, chacun de son côté, créé sa propre formation politique en s’appuyant sur sa région d’origine et son ethnie.
Adrien Houngbédji a avec le PRD, marqué l’histoire politique du Bénin depuis trois décennies. Après un bref passage au gouvernement entre 1996 et 1998, il a exercé l’essentiel de sa carrière politique en tant que député. Premier président du Parlement de l’ère démocratique en 1991, il a été réélu deux fois en 1999 et 2015. Il bat ainsi, pour l’instant,le record de longévité à ce poste.
Adrien Houngbédji, un homme de compromis…
En 1991, l’Assemblée nationale avait une composition hétéroclite.Aucune formation politique ne disposait à l’époque d’une majorité suffisante pour prétendre désigner et élire à elle seule le président. Après maintes tractations, un compromis fut trouvé. Une majorité de circonstance composée du PSD, du RDL, de l’UTR, de l’ASD, du PRD… s’était prononcée en faveur du leader du PRD. Il présida l’institution jusqu’en 1995 où il fut remplacé par Bruno Amoussou soutenu par la Renaissance du Bénin et d’autres formations politiques.
Les élections législatives de 1999 ont entraîné un grand bouleversement au niveau du paysage politique du pays.Le PRD et la RB ont remporté chacun une vingtaine de sièges. Ces deux formations ensemble vont dicter la loi. Il suffisait de rallier quelques députés à leur cause pour s’imposer. Un consensus s’est dégagé autour du leader des « Tchoco Tchoco » qui gagne une deuxième fois le perchoir.
En 2015, 16 ans plus tard, comme un coup du sort, contre toute attente Adrien Houngbédji revient aux affaires.Le mandat de Yayi touchait à sa fin. Son pouvoir montrait des signes de faiblesse. Des leaders de sa propre formation politique les FCBE qui espéraient lui succéder ont accueilli avec stupéfaction le choix porté sur Lionel Zinsou, débarqué de Paris comme un cheveu sur la soupe. Ils lui tournèrent dos. A l’Assemblée, l’opposition était très forte. La bataille pour le perchoir fut très rude.Au finish, les forces coalisées confièrent une fois encore les destinées du Parlement à maître Adrien Hiungbédji au détriment de Komi Koutché , candidat des FCBE et compagnies. Le président du parti arc-en-ciel avait certainement fait l’unanimité au sein de cette coalition boudeuse, décidée à évincer à tout prix Yayi et ses derniers fidèles compagnons.
Adrien HOUNGBÉDJI dans le tournant de la « rupture »…
A l’issue de l’élection présidentielle de 2016, une autre ère s’ouvre : celle de la « rupture ». Patrice Talon, élu président de la République va engager d’importantes réformes économiques et politiques. Houngbédji bien qu’ayant soutenu ouvertement Lionel Zinsou lors de ladite présidentielle, adhère aux réformes politiques en favorisant la modification de la Constitution, du code électoral et du système partisan. Rappelons qu’il avait reçu le soutien de Talon pour accéder au perchoir. Agissait-il par reconnaissance ou par calcul politique ? Il se réclamait de la mouvance, mais s’opposa à la fusion du PRD dans l’un des deux blocs notamment l’UP et le BR. Il tenait à à garder son parti, tel un héritage ancestral à transmettre de génération en génération.C’était un grand risque qu’il prenait vu le contexte qui prévalait à la veille des législatives de 2019. Les « Tchoco Tchoco » victimes des nouvelles dispositions légales, furent donc écartés des législatives. Par ailleurs, en 2020, ils perdirent le pouvoir local. Il faut reconnaître, toutefois, que le PRD demeure aujourd’hui le seul parti survivant de la flopée de partis nés au lendemain de la Conférence nationale
La galère du PRD fut de courte durée(2019-2021). En effet, après la réélection de Patrice Talon en 2021, un baron du parti, en l’occurrence Raphaël Akotègnon est promu ministre de la Décentralisation. Cette ouverture s’est opérée certainement après d’âpres négociations.
C’est un nouveau tournant dans la vie du parti surtout que depuis quelques mois la mobilisation des militants se fait autour de la » *remontada* « , c’est à dire le retour du parti sur la scène politique. Dès lors, tous les regards sont tournés vers 2023 .
En attendant si Adrien Houngbédji accepte le poste de président de la Cour constitutionnelle, il est évident qu’il y a un compromis entre lui et le chantre de la « Rupture ».
Quels pourraient être les autres termes de l’accord ? Les jours à venir nous les feront découvrir.
Encadré : Houngbédji comme Apithy
Adrien Houngbédji a sans aucun doute de l’expérience et du mérite.Cependant, en jetant un regard critique sur son parcours politique, on est tenté d’affirmer qu’il est un homme de compromis qui sait saisir les opportunités pour se hisser au devant de la scène.C’est un prototype d’opportunisme politique.Sa carrière politique rappelle à maints égards celle de Sourou Migan Apithy dont il se réclame être l’héritier.
_Notes_
– HAZOUME Guy Landry : Idéologies tribalistes et nation en Afrique.Le cas dahoméen, Présence Africaine, Paris,1972,
230 p.
– HOUNGUE Charles Bonaventure : Sourou Migan APITHY : un homme politique au service de son pays, Mémoire de maîtrise d’histoire, UAC,2002,113p.
Site www.lafriqueenmarche.info du 19 juillet 2022 No 240