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Après son essai/ Interview : Depuis le Canada, l’écrivain Tochéhou Sosthène Adéossi parle du processus démocratique au Bénin de 1990 à nos jours

Après son essai/ Interview :  Depuis le Canada, l’écrivain Tochéhou Sosthène Adéossi parle du processus démocratique au Bénin de 1990 à nos jours

 
« Alors que le mot consensus est un accord des volontés sans aucune opposition formelle. Le consensus se distingue de l’unanimité qui met en évidence la volonté manifeste de tous les membres dans l’accord pour l’intérêt général. », a dit sans ambages notre compatriote et écrivain Tochéhou Sosthène Adéossi qui vit au Canada. Il vient de publier ‘’Processus démocratique au Bénin de 1990 à  nos jours, compromis ou compromissions des acteurs politiques ?’’. Après son essai, il a été interviewé par  litteraturekulture.blogspot. Lisez ci-dessous l’intégralité des ressorts qu’il met en avant pour expliquer son intime conviction en ce qui concerne son essai.
litteraturekulture.blogspot : Après la publication de votre premier essai intitulé ‘’Principe et valeurs pour une éducation démocratique des jeunes au Bénin’’ en octobre 2020, vous nous donnez à lire cette année un nouvel ouvrage initulé ‘’Le processus démocratique au Bénin de 1990 à nos jours, compromis ou compromissions des acteurs politiques ?’’. Dites-nous, d’où tenez-vous cet attachement inlassable aux réalités démocratiques et qui transparaît à travers vos publications ?
Tochéhou Sosthène Adéossi : Cet attachement inlassable aux réalités démocratiques comme vous le dites, vient de mon parcours militant précoce et de ma formation universitaire : je suis juriste et historien de formation.  Mais en réalité cela devrait être le cas pour tous les citoyens et citoyennes de tous les pays. C’est mon devoir patriotique. En un mot des hommes et femmes qui vivent dans une société humaine organisée, qui ont du rêve et des projets font et doivent faire cet exercice pour être utile à eux-mêmes et aux autres. C’est d’ailleurs la seule raison de notre existence à mon avis.
La gestion de la cité ne saurait se faire sans un minimum de compromis et même de compromissions pour le bonheur de la majorité. Cependant, le titre de votre ouvrage laisse penser que vous reprochez aux acteurs politiques béninois l’appropriation de cette réalité.
Non, je ne fais de reproches à personne. Ce n’est pas mon genre. Je fais plutôt un constat sur notre  processus démocratique depuis 1990 à nos jours à travers des acteurs qui ont animé et qui animent ce processus démocratique. Il y a un mot qui a retenu l’attention de tout le monde depuis la conférence nationale des forces vives de la nation du février 1990 : c’est le mot consensus. Mais progressivement ce mot qui était un vœu louable et qui devrait guider des actions publiques des acteurs politiques au sein de notre pays est devenu progressivement autre chose. Nous assistons à des arrangements malsains et dangereux dans l’intérêt d’un petit groupe au détriment du grand nombre. Alors que le mot consensus est un accord des volontés sans aucune opposition formelle. Le consensus se distingue de l’unanimité qui met en évidence la volonté manifeste de tous les membres dans l’accord pour l’intérêt général. Ce n’est pas pour rien que ce mot a pris une valeur constitutionnelle de façon symbolique entre temps dans notre pays. Mais quand je fais le bilan de ce processus démocratique, car c’est de cela qu’il s’agit, je constate qu’il y a plus de compromissions entre des acteurs politiques – vu leurs actes et comportements – que l’esprit de consensus ou de compromis qui se dégageait et qui devrait guider les actions publiques depuis 1990 : le repère que j’ai choisi pour faire mon analyse dans le nouvel essai politique sur notre pays le Bénin.
Votre essai s’est intéressé quasiment à tous les leaders politiques béninois de 1990 à nos jours et également à leurs multiples actions de développement. Pourtant, vous affirmer sans ambages que « nos aînés ont échoué dans l’édification d’une nation prospère ». Clarifiez-nous ce contraste.
Pourquoi parlez-vous de contraste, il n’y en a pas dans mon esprit ni dans cet essai. Le Bénin est-il déjà une nation ? Et cette nation est-elle prospère ?  Je réponds sans langue de bois non tout simplement à ces deux questions.  Et pourquoi Non !  J’ai essayé d’expliquer en quoi le mot divorce décrit mieux l’état de notre pays dans mon deuxième essai. Nous avons divorcé les uns d’avec les autres, d’avec l’éthique, d’avec la solidarité, d’avec la fraternité – et pourtant c’est le premier mot de notre devise -, d’avec notre histoire, d’avec nos valeurs et principes ancestraux, d’avec la terre. Indiquez-moi un seul élément fédérateur qui unisse tous les Béninois de l’intérieur, comme de l’extérieur du pays ? Même notre Vodoun qui nous caractérise plus ou moins, certains citoyens  des autres pays en parlent ironiquement et avec crainte pour nous désigner. Cet élément aussi est donc loin d’être un élément fédérateur de tous les Béninois. Nous sommes un pays de différents groupes sociaux qui expliquent souvent tout ce qui nous arrive soit par l’indifférence soit par la fatalité.  Et pourtant les Béninois en général sont très entreprenants, travailleurs, résilients, débrouillards et très appréciés. Malheureusement, nous avons une classe politique dans l’ensemble qui laisse à désirer; friande des intrigues, des trahisons, et surtout de l’hypocrisie.  Ces contre-valeurs ne peuvent que donner des résultats qui sont devant nous aujourd’hui.  Une société divisée, qui ne fait plus confiance à elle-même, ni à la classe politique ni aux gouvernants. Le Bénin ne dit pratiquement rien aux hommes politiques Béninois en général. Ils s’y intéressent seulement quand ils peuvent en tirer un intérêt particulier. Regardez nos premières dames et autres politiciens du pays. Tant qu’ils ne sont pas aux affaires, vous ne les verrez presque jamais poser des actes de développement ne serait-ce que pour aider les citoyens. Et quand ils ne sont plus aux affaires, leurs ONG également disparaissent.
Vous estimez à travers votre ouvrage que le développement d’une nation doit inéluctablement passer par la promotion d’une langue nationale et l’existence d’une monnaie propre au pays. Que doit comprendre le béninois lambda de la nécessité de ces instruments de développement ?
À ce niveau aussi c’est un constat d’échec après plus de 61 ans d’indépendance, nous continuons de dire et d’appliquer dans les faits que seul le français est la langue officielle du pays. Or, cette langue n’est pas la langue de la majorité de la population béninoise et nous savons tous qu’aucun pays ne se développe dans une langue d’autrui. Nous n’avons rien contre la langue française. C’est une belle langue de communication avec des millions de locuteurs dans le monde. Mais nous devons promouvoir nos propres langues pour véhiculer et mieux expliquer nos réalités.  Nous devons nous demander pourquoi l’Afrique est le seul continent qui continue d’enseigner et d’instruire ses enfants dans une langue étrangère. Le passé colonial seul ne suffit pas à l’expliquer. Dans quelles langues s’instruisent les petits Croates, Anglais, Français, Slovènes, Serbes, Chinois, Coréens, Lituaniens, Allemands ? Même s’il n’y a pas de règles sans exception, pourquoi l’Afrique peut-elle être le seul continent où les peuples doivent, pour leur instruction, faire usage des langues étrangères ou se développer dans une autre langue ? La pensée profonde d’un individu ne s’exprime que dans sa langue maternelle. Pour cela, il faut que nos gouvernants réfléchissent et discutent avec la population pour retenir trois langues, par exemple le fon au sud, le nago au centre, et le dendi au nord, afin de commencer par enseigner ces trois langues obligatoires dans nos écoles et centres de formation. C’est urgent pour la survie de notre patrie commune, le Bénin. C’est la proposition que j’ai faite dans mon nouvel essai. Quant à la question de la monnaie c’est également l’expression essentiellement de la souveraineté nationale.  Nous avons essayé de démontrer dans ce livre que c’est la Banque de France (par sa politique monétaire) qui fixe le niveau des activités économiques dans l’ensemble de la zone Franc et non la volonté du peuple voire du gouvernement de chacun des pays de la zone. Et cette situation n’arrange point ces pays y compris le Bénin. Au sein du système bancaire dans un pays, les tâches sont bien distinctes : la Banque centrale détermine le niveau maximum de la production des revenus tandis que les banques commerciales en déterminent d’avance les titulaires. Il en résulte que l’ensemble du système monétaire détient la clef de l’ordre social dans un pays. Aller confier la garde de cette clef à un État étranger, de surcroît l’ancien colonisateur, et croire pouvoir développer le pays sous cette tutelle, c’est le péché impardonnable commis par ceux qu’on a l’habitude en Afrique d’appeler “les pères de l’indépendance”. Il n’est pas concevable qu’un État, au nom de la recherche d’une monnaie solide, se dépouille au profit d’un autre État du plus précieux instrument de souveraineté qui soit :“battre monnaie”. Et cette question est essentielle et préoccupante pour ces pays notamment le Bénin dont le voisin de l’est, la première puissance économique de l’Afrique le Nigéria dispose de sa propre monnaie qu’est le Naira. Malheureusement, il n’y a aucune coopération dans ce domaine avec ce pays. Ce qui est déplorable pour notre pays.
Vos écrits nous renseignent que l’engagement politique se raréfie de plus en plus et laisse plutôt place à l’improvisation et l’impréparation des acteurs politiques. Que préconisez-vous en tant que politiste pour corriger cet état de chose ?
Pour corriger cet état de chose, c’est simple il faut d’abord commencer par  aimer le Bénin comme soi-même. Un pays comme une famille sont des choses que nous ne choisissons pas et nous devons faire avec pour être utile à nous-même et aux autres malgré les vicissitudes qui sont inhérentes à la vie humaine. Nous avons fait le constat que le déficit des valeurs essentielles et le déficit démocratique dans notre pays sont des miroirs posés l’un en face de l’autre et on y voit l’abîme de notre existence comme peuple béninois.  Ensuite, il faut enseigner dans nos écoles et lieux des formations jusqu’à l’université l’amour de la patrie, célébrer nos héros et l’histoire de notre pays.  Pour remédier à ce triste état des choses, nous devons remettre ensemble les choses divisées, les choses avec lesquelles nous nous sommes divorcées comme je le disais en haut. Recherchons les cassures, les choses qui sont brisées. Réfléchissons donc pour les rétablir en comptant sur nous-même d’abord et surtout sur Dieu pour nous donner la sagesse et la capacité de le faire. Enfin dans mes neuf exhortations aux adolescents béninois ; il y a une où j’écrivais : « Ado béninois, ose t’engager quand le devoir t’appelle ». Nous savons tous que sans engagement, les choses ne changent jamais. L’histoire se met en marche par la marge. Elle s’écrit par les petits. L’effet-papillon est assez illustratif. « Quand un papillon bat des ailes à Hong Kong, il peut déclencher un orage à New York ». Les plus petits actes des hommes les plus simples, portés par une volonté ferme, sont capables de résister aux puissants, de renverser le cours des événements et de produire des résultats inouïs. Un tel engagement peut transfigurer la situation du Bénin. Il faut juste bien cibler les défis et appliquer les méthodes (stratégies et tactiques) y afférentes. Je me permets de rappeler que l’’insurrection de la bonté et de l’amour construit. Mais la violence détruit toujours quand elle est exercée sur les autres. Même si l’engagement naît d’un élan individuel, il faut savoir le transformer en une dynamique qui intègre les autres pour un déploiement efficace.
Plongé dans un profond pessimisme, vous considérez que les aînés politiques sont comme des bois secs incorrigibles. D’où l’urgence d’inculquer aux jeunes des valeurs fondamentales pour des lendemains meilleurs. Parlez-nous-en.
Je ne suis pas de nature pessimiste. J’ai démontré plutôt par les faits que la plupart de nos dirigeants sont tous arc-boutés à une cupidité sans limites pour satisfaire leur ‘‘moi’’ et une soif de gloire sans pareille. L’envie d’acquérir, d’avoir, d’amasser tant d’argent pour paraître, fanfaronner, est devenu la norme dans la société béninoise d’aujourd’hui. Et quand une société en arrive à cette obsession d’avoir, d’être et de paraître, cela devient une pathologie endémique et toutes les valeurs humaines et éthiques disparaissent. C’est de cela qu’il s’agit. En plus au dernier chapitre de ce livre j’ai proposé une solution dont la mise en application doit viser principalement les adolescents à qui les familles et nos enseignants doivent inculquer inéluctablement 5 valeurs fondamentales que j’ai détaillées  à savoir : « la vérité, la conscience, la volonté, la liberté, et l’amour». Pour moi, ces différentes valeurs se présentent comme des compléments ou suppléments au manque d’expériences des jeunes, des éléments indispensables  pour qu’ils soient utiles à eux-mêmes et aux autres dans la société béninoise en étant fiers quotidiennement de leur patrie. Sans valeurs : disais-je : « ton bel âge porté par l’enthousiasme s’effiloche, s’effrite et s’abime ».
Vos théories politiques portent les marques d’une parfaite sainteté et s’apparentent plutôt à l’antipode des réelles pratiques politiciennes. Pourriez-vous appliquer exactement vos propres prescriptions si un jour vous venez aux affaires ?
Toute société est à parfaire. Encore plus quand il s’agit du processus démocratique et la contribution de tous est la bienvenue à la gestion de la cité. Les idées avancées dans ces ouvrages ne sont que ma manière de participer à cette obligation : construire une société à même de rendre heureux et fier chaque béninois quel que soit le rang social ou sa localité de résidence. Un tel travail d’évaluation et de projection dans l’avenir, s’il est fait par tous les citoyens notamment ceux qui détiennent une parcelle de pouvoir politique, pourrait nous offrir d’énormes.

bonds en avant.
Que voulez-vous dire pour clôturer cet entretien ?
Au terme de cet entretien, c’est de vous remercier d’abord pour l’intérêt que vous portez à mon nouvel essai politique à travers vos questions qui m’ont permis de parler aux compatriotes Béninois de l’intérieur comme de l’extérieur sur le sujet des compromissions des acteurs politiques du processus démocratique de notre pays. Le livre politique crée cette tradition politico-littéraire qui existe dans certains pays. Les Béninois aiment en général les débats politiques, car ils sont fascinés par le pouvoir mais nous ne nous consacrons pas souvent aux réalités de coulisse du pouvoir en faisant une analyse prospective. C’est ce que j’ai essayé de faire et j’espère que cela va susciter des débats et des questionnements au sein de la société. C’est le but de cet exercice et c’est aussi une façon de faire avancer notre cher pays le Bénin comme les grandes nations. Je vous remercie.

Propos recueillis par Chédrack DEGBE

Site www.lafriqueenmarche.info du 27 décembre 2021 No 033
 

Bénédicte DEGBEY

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