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Afrique/Limitation du nombre des mandats : Opinion du Professeur Philippe Noudjènoumè

Afrique/Limitation du nombre des mandats :  Opinion du Professeur Philippe Noudjènoumè

Après les déclarations du président Talon devant des représentants de la « Société civile » de la CEDEAO réunis à Cotonou du 8 au 11 juillet 2021, Professeur Philippe Noudjènoumè en fait une analyse. Lisez ci-dessous son opinion sur la question. 

La question de limitation de mandat présidentiel ou comment on embrouille le concept de démocratie avec ses modes d’expression possibles ?

Le Président Talon a fait des déclarations devant des représentants de la « Société civile » de la CEDEAO réunis à Cotonou du 8 au 11 juillet 2021. Le contenu de cette déclaration est le suivant : « Je mesure la portée du relai et (je) vous prend à témoin pour passer ce relai le troisième dimanche de mai 2026 à celui qui aura la confiance du peuple béninois ». Autrement dit, Patrice Talon déclare ne pas faire un « troisième mandat ». La première remarque est qu’il avait pris aussi solennellement l’engagement de ne pas faire un second mandat, mais on a vu ce qui s’est passé. Cette déclaration fait le tour des organes de presse et le Président Talon est magnifié désormais comme le champion de « l’alternance » et donc de la démocratie dans l’espace CEDEAO. 

Ainsi est entretenue la confusion sur des concepts, on manipule sans s’en rendre compte des consciences non averties pour ériger des dictateurs autocrates en démocrates bon teint à qui on veut ériger des stèles et des lauriers. 

En fait, comment définit-on la démocratie ? « Gouvernement du peuple par le peuple pour le peuple ». Cette formule s’entend seulement que la démocratie est un système qui permet à un peuple (dans sa majorité) de faire librement le choix de son régime ; d’établir les règles de dévolution au pouvoir, de choisir librement ses dirigeants, de les évaluer et au besoin les changer, selon les échéances qu’il se sera défini préalablement. Les éléments que l’on évoque tels que « multipartisme, séparation de pouvoirs, élections libres et régulières, alternance au pouvoir, nombre de mandats, etc. » ne constituent que des modes d’expression possibles de la démocratie et non ses caractéristiques intrinsèques. L’élément essentiel dans la démocratie, c’est la fusion entre la volonté du peuple souverain et la politique des gouvernants ; autrement dit, la confiance du peuple aux gouvernants. C’est ce que l’on appelle la légitimité. Si la mesure de cette confiance peut s’évaluer périodiquement par consultation électorale, il est un fait que le peuple ne saurait être bridé par quelque échéance que ce soit. 

Dès lors que cette confiance, pour une raison ou une autre, est rompue, le peuple souverain a le droit de reprendre sa souveraineté en changeant de dirigeant politique sans attendre une échéance électorale. En rejoignant ce que le grand politologue français Georges Burdeau dit si justement « Il n’y a de démocratie authentique que lorsque le peuple, support de la puissance politique, est mis à même de l’exercer directement, du moins d’en contrôler l’exercice » (Démocratie, essai synthétique, Bruxelles, 1956).

On peut bien avoir de multipartisme sans démocratie (multipartisme au sein du même sérail, du même clan pour ne pas dire de la même classe). On en a vu au lendemain de l’exigence par Mitterrand du multipartisme en Afrique francophone ; Bongo père a simplement invité ses amis à créer des partis politiques et leur a distribué à cet effet vingt millions à chacun. Nous avons au Bénin un exemple de « multipartisme » actuellement formé de UP, BR, FCBE, MOELE-Bénin, FCDB, UDBN et autres MPL, pour ne citer que ceux-là, qui tous sont nés d’un même père et d’une même mère, c’est-à-dire qui relèvent tous d’un même pouvoir autocratique. Peut-on dire que cela est expressif de la démocratie au Bénin ? Ainsi on peut, en 2026 assister à ce phénomène ubuesque d’un Prédisent Talon cédant comme d’habitude par fraude et exclusion, son fauteuil à un Boco Olivier ou à Wadagni Romuald pour poursuivre son œuvre. Parlerait-on alors d’alternance réussie et de respect de limitation de mandat et donc de l’exercice de la démocratie ? Voilà des situations qui peuvent se produire avec la réduction de la démocratie à des modes d’expressions possibles de cette démocratie. 

Le cas des questions agitées comme alternance, limitation des mandats etc. auxquelles on attache la démocratie, nous interpelle.

  On confond souvent alternance et alternative. L’alternance, c’est le passage du pouvoir d’un individu ou d’un parti politique à un autre ceci au sein d’un même régime ou système. L’alternative, c’est le passage d’un système ou d’un programme politique à un autre système ou programme politique. On a souvent mélangé des questions de forme ou de conjoncture aux questions de principe. 

Il en est ainsi du cas de limitation de mandat à deux. La question de deux mandats est l’un de ces débats oiseux à caractère mimétique. La question de deux mandats résulte de l’amendement XXII(22) de la Constitution américaine fait en mars 1947, c’est-à-dire au sortir de la deuxième guerre mondiale. En effet, Roosevelt élu en 1933, a dû passer toute la période de la guerre au pouvoir. Et même a dû finir son mandat en chaise roulante. Au vu de cela, les Américains ont décidé librement de limiter les mandats présidentiels à 2. Il s’agit d’un contexte historique propre à un pays déterminé, les Etats-Unis d’Amérique. Cela n’a aucune signification particulièrement démocratique, ni ne confère au système une supériorité démocratique sur tout autre système. Par exemple, pendant longtemps, il n’y a pas eu de limitation de mandat en France. Et cela jusqu’aujourd’hui n’existe pas en Allemagne (Mme Merkel vient de faire 16 ans, soit plus de quatre mandats au pouvoir) ni en Grande-Bretagne. En quoi ces systèmes sont-ils inférieurs du point de vue démocratique à un autre qui admet la limitation de mandat ? 

Sur la base de confusions du genre entre démocratie et ses modes d’expressions possibles, on érige des barrières et des critères d’appréciations où tout système qui ne respecte pas ces canons de démocratie libérale d’Europe de l’Ouest et d’Amérique, est taxé de régime dictatorial. Sur cette base de soi-disant non alternance, on classe par exemple le pouvoir de Fidel Castro de « dictature autoritaire » ainsi que d’autres dans le monde. 

En résumé, le continent africain a l’apanage du mimétisme et du « copier-coller » des autres, l’apanage de l’imitation servile des institutions émanées des expériences d’autres peuples (et propres à leur contexte historique) que l’on vend à travers les grands mass media, tels RFI, France 24 et autres CNN. 

Dès que nous prenons conscience des concepts et de leur contenu, il revient aux peuples africains d’être inventifs, de puiser dans leurs ressources, pour apporter des solutions correctives aux problèmes mondiaux qui se posent à l’humanité, parmi lesquels la crise de la démocratie représentative dont les systèmes politiques prennent de l’eau de toutes parts à l’exemple de ce qui s’est passé en janvier 2021 au Capitole américain ou des remises en cause incarnées par les « Gilets Jaunes » en France.

La seule boussole pour nous est le pouvoir du peuple, autrement dit le pouvoir de la majorité et de l’exercice de sa souveraineté à tout moment. Tout le reste n’est qu’habillage pour tromper le monde.

Pr. Philippe NOUDJENOUME

Source : https://www.facebook.com/113730407066061/posts/325539419218491/

Bénédicte DEGBEY

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