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Afrique/Coups d’Etat : Obasanjo est contre. Pourquoi?

L’ex-président nigérian Olusegun Obasanjo raconte pourquoi et comment il s’est opposé aux coups d’état militaires
En 1979 vous êtes devenu le premier chef d’état militaire nigérian à transférer le pouvoir à un gouvernement civil démocratiquement élu. Qu’est-ce qui vous a poussé vers le leadership civil ?
M. Obasanjo : C’était surtout sous l’influence de ma formation militaire. Dans la formation que j’ai reçue, les forces armées dépendent de l’autorité civile. Ceci a été inculqué dans ma propre formation et dans ma vie. Lorsque l’Afrique a commencé à être sujette à des coups d’Etat peu après la période d’indépendance, c’était contraire à ma formation. C’était contraire à l’éthique des forces armées. L’autre chose que j’ai constatée, c’est qu’en fait cela sape l’organisation des forces armées. L’armée est une organisation hiérarchique. Lorsque vous avez un homme qui hier était sous vos ordres mais maintenant amène son fusil au palais présidentiel et ordonne l’exécution ou l’arrestation du président ou du Premier ministre, puis devient le président militaire, cela désorganise la hiérarchie des forces armées. Cela est contraire à la camaraderie militaire. Je pense que la meilleure chose à faire, c’est ramener l’armée là où elle devrait être : dans les casernes. Je pense que nous devrions éloigner l’armée du gouvernement et nous assurer de sa bonne formation, de son bon professionnalisme, de son bon équipement. C’est ce que veulent les soldats : être prêts à servir pour soutenir l’autorité civile.
Vous avez passé trois années en prison de 1995 à 1998 pour avoir opposé le régime militaire de Sani Abacha. Pourquoi avez-vous défendu ces principes démocratiques en sachant que vous pourriez payer un tribut tellement lourd ?
M. Obasanjo : Si vous croyez en quelque chose, vous devez être prêt à faire des sacrifices pour cela. Vous ne pouvez pas prétendre que vous croyez en quelque chose sans être prêt à payer le prix nécessaire. Je pense que les forces armées ne devraient pas gouverner, et j’ai agi en conséquence lorsque j’ai dû le faire. Je pense que si vous ne défendez rien, vous laisserez tout tomber. Dans une vie dédiée aux principes, à certaines normes et règles, vous devez être désireux de payer ce qu’il faut payer. En fin de compte, les faits pourraient montrer que vous avez raison, mais s’ils montrent que vous avez tort, vous devez aussi être prêt à l’accepter. Au fil des années, il semblerait que j’ai eu raison sur ce point.
Lorsque vous avez été libéré, vous avez fait campagne en tant que civil et vous avez été élu président en 1999. En tant que président, vous avez fait du professionnalisme militaire l’une de vos premières priorités. Après être entré en fonction, vous avez forcé 93 officiers militaires à prendre leur retraite. Pourquoi était-ce important et quel est le signal que cela a envoyé aux soldats et au pays ?
M. Obasanjo : Nous avions ce jeu de chaises musicales, où l’armée limogeait les civils, puis les civils revenaient et l’armée les limogeait à nouveau, ainsi de suite. Les gens disaient : « Écoutez, que peut-on faire pour stopper cette série de coups d’Etat ? » Certains disaient : « Nous pouvons écrire dans la constitution que les coups d’Etat sont une trahison. » Le problème avec cela, c’est que les auteurs des coups d’Etat savent bien que c’est une trahison. C’est pourquoi ils ne laissent rien au hasard. J’ai pensé qu’en facilitant les choses pour que les gens ne participent pas aux coups d’Etat, on peut s’assurer que, quelle que soit la durée de l’échéancier, les coups d’Etat ne seront pas bénéfiques pour ceux qui y participent ou qui en obtiennent un maximum d’avantages. Alors c’est plus facile pour les gens de ne pas vouloir de coups d’Etat. C’est pourquoi j’ai mis ces officiers à la retraite. Ce n’était pas parce qu’ils étaient mauvais par ailleurs : plus tard, nous avons réintégré certains d’entre eux dans les forces armées, nous en avons nommé d’autres ambassadeurs, nous avons même demandé à certains autres de rejoindre des partis politiques, etc. Certains ont été démocratiquement élus gouverneurs. Mais les coups d’Etat ont été découragés et ils le restent aujourd’hui. L’idée, c’est que lorsque vous êtes un militaire professionnel, vous devez rester professionnel. Dédier votre vie à servir votre pays et votre peuple et à servir l’humanité de cette façon. Si à un moment quelconque vous décidez de changer de métier, vous êtes libre de le faire. Mais n’utilisez pas les forces armées et le fusil qui vous est donné pour protéger votre pays aux fins de la destruction de ce pays. Ne prenez pas en charge la direction de votre pays sous la menace des armes.
Source https://adf-magazine.com/fr/2022/05/
Site www.lafriqueenmarche.info du 24 mai 2022 No 184

Bénédicte DEGBEY

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